Chroniques

par cécil ameil

Alceste
tragédie en musique de Christoph Willibald Gluck

Théâtre royal de La Monnaie, Bruxelles
- 21 janvier 2004
© johan jacobs

Comme à l’accoutumée, la première se déroule dans une ambiance peu guindée, notamment dans la fosse et, surtout, chez les spectateurs, mais la pression sur les artistes n’en est pas moins forte en présence d’un public disparate qui comprend amis musiciens et collègues de travail, journalistes et critiques musicaux.

Alceste, tragédie de l’Allemand Christoph Willibald Gluck d’abord écrite en italien, en 1767, puis entièrement traduite et remaniée en français en 1776 lors du séjour du compositeur à Paris, est considérée comme une petite révolution dans l’histoire de l’opéra classique : elle fut écrit comme un manifeste contre les ornements et les surcharges de l’opéra italien ancienne manière où le texte était perçu comme un bavardage sur lequel la musique primait. Ce n’est pourtant pas l’opéra de Gluck le plus renommé. Déjà avec Orfeo, créé cinq ans auparavant et également traduit en français, Gluck ouvrait une brèche dans l’approche de l’opéra qui lui paraissait alors le plus souvent ennuyeux et stérile. Avec Alceste, il prétendit raccorder livret et musique dans la simplicité, la vérité et le naturel – et faire de la musique au service de la poésie. Il en ressortit une œuvre en trois actes à la trame particulièrement dépouillée où l’émotion est primordiale.

Une caractéristique de cette œuvre est la place occupée par l’héroïne : présente de bout en bout, les changements d’humeur d’Alceste ponctuent le cours de l’histoire. L’artiste qui l’incarne doit chanter de très nombreux airs seuls ou en duos (plus un trio à la fin) pendant plus de deux heures de spectacle. Les dialogues sont peu nombreux, les récitatifs quasi-inexistants.

La mise en scène et la scénographie retenues à Bruxelles sont celles de Bob Wilson, dans la création présentée au Théâtre du Châtelet (Paris) en 1999, qui rencontrait alors un vif succès. Cette adaptation s’inspire essentiellement du livret français sans tenir compte de la première version italienne. Dans un décor épuré et angulaire, traversé de lignes verticales et horizontales, avec pour seul repère familier une immense statue du dieu Apollon, les artistes drapés se meuvent dans des positions statiques qui ne sont pas sans rappeler les peintures et statues égyptiennes, sans jamais se toucher (à l’exception de deux enfants). Le peuple est régulièrement figuré par une dizaine de jeunes femmes dont la chorégraphie est saccadée dans une succession de poses, corps tendu. Un cube plus ou moins gros se meut dans l’espace pour figurer le temps et le destin.

La direction musicale est confiée au claveciniste et chef d’orchestre anglais Ivor Bolton, et le chef des chœurs, Renato Balsadonna, est celui attitré au Théâtre de la Monnaie. Si, de facture très classique et de composition assez sévère, la musique de Gluck n’enthousiasme pas grandement (il est intéressant de noter les nombreux passages confiés aux vents), l’interprétation de l’orchestre et du chœur conduits par Ivor Bolton paraît apporter tout l’allant nécessaire à la conduite du récit. La mise en scène est impressionnante, mais elle pousse le dénuement à l’extrême, si bien que la musique et l’interprétation occupent une grande place au détriment du jeu d’acteurs, réduit à sa plus simple expression.

De ce point de vue, la performance du mezzo-soprano américaine Katarina Karnéus (d’origine suédoise) est d’autant plus remarquable. Outre une élocution impeccable qui confère au texte un intérêt évident, la chanteuse, habituée à chanter Gluck, habite son personnage avec beaucoup de conviction, animée d’un sens théâtral essentiel. La voix est conduite avec intelligence, avec des inflexions qui, pour n’être jamais excessives, reflètent les tourments de l’âme. Emaillée de beaux aigus cristallins, on peut seulement regretter que l’émission manque d’ampleur, en particulier dans le registre bas. Le ténor américain Kurt Streit, dont le beau timbre a déjà accompagné nombre d’artistes de haute-volée, notamment dans les opéras de Mozart, semble moins impliqué dans son rôle d’Admète. Il est vrai que son élocution n’est pas vraiment convaincante, chaque syllabe du texte français étant projetée sans grande nuance. C’est plutôt une impression d’effort vocal qui domine sa prestation.

Très applaudi Outre-Manche, le baryton-basse anglais David Wilson-Johnson, qui incarne le Grand-Prêtre chargé de consulter et répandre l’oracle d’Apollon, déçoit quelque peu : malgré un jeu convaincant, la voix était animée d’un copieux vibrato qui, sans conteste, entraîne des problèmes de justesse. Par ailleurs, le rôle d’Evandre, ami du roi, est confié à l’Anglais James Gilchrist. Bien que le rôle soit peu important (il n’intervient que deux petites fois dans toute la pièce), le ténor l’incarne avec une présence vocale tout à fait bienvenue, grâce à une voix très ample et naturelle.

CA