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Chroniques
Alcina
opéra de Georg Friedrich Händel
Christophe Rousset présente une Alcina d’une grande clarté, peut-être moins effervescente que ce qu’il put proposer dans d’autres ouvrages de Händel. Sa lecture se montre à la hauteur de sa précision coutumière, bien que moins tendue. On l’aura remarquée très attentive au travail des chanteurs, particulièrement soucieuse de soigner les équilibres entre plateau et fosse. Signalons un solo de hautbois joliment réussi par Patrick Beaugiraud, ainsi que le motif de flûte à bec sur les toutes dernières mesures de l’opéra, par Jacques-Antoine Bresch.
Quant à ce qui se passe sur scène…
Couleurs criardes, géographie insulaire en femme nue, plateau tournant en miroir ; bref : un décor clinquant, lourdaud, vulgaire, et souvent mal utilisé. Par exemple, l’aria Ombre palide montre une Alcina désemparée qui tourne lentement avec son lit, formant une image assez jolie, mais les gênants bruits du mécanisme viennent annuler l’effet désolé procuré par des phrases d’orchestre fragmentées, d’une tristesse infinie. Ce passage se transforme malheureusement en concert de grincements, et l’émotion, autant que le plaisir qu’il eut su nous offrir, s’en trouvent altérés. Voilà pour un espace, qui, avouons-le, ne sert à rien.
Et l’action ?
Le problème est bien là. Marco Arturo Marelli s’inquiète guère des questions de jeu, des relations à construire entre les personnages, de tout ce qui rend possible la représentation. On demeure surpris : quelques autres de ses travaux ne souffraient pas d’une telle carence. Cet automne, par exemple, son Eugène Onéguine strasbourgeois offrit de toutes autres possibilités, ainsi que l’Ariadne auf Naxos qu’il monta pour le Semperoper de Dresde. Ici, pas de direction d’acteurs, et des choix qui ne brillent pas par leur finesse de vue. Certes, Alcina amène une guerre, un siège, une lutte, comme souvent dans le répertoire händélien, et nous retrouvons les thèmes chers au compositeur : le pouvoir de l’amour, l’amour du pouvoir, l’amour du pouvoir qui aide à se faire aimer, le pouvoir de l’amour qui se refuse à celui qui détient le pouvoir, les limites d’un pouvoir de posséder sans amour, et ainsi de suite. De là à forcer la dose, réduire l’imagination du public et lui imposer une interprétation facile, lourde et myope, il y avait un fossé que Marelli enjambe sans crainte de sombrer dans le mauvais goût. De fait, il s’y précipite de bon cœur, cédant aussi à une certaine mode dont on a pu constater les essais l’été dernier, ici même, avec un Rinaldo à faire fuir les estomacs les mieux accrochés. Nous espérons retrouver bientôt ce metteur en scène dans un travail plus scrupuleux, plus réfléchi, moins capricieux.
Montpellier offrait un plateau vocal honorable.
On aurait peut-être attendu plus de l’Alcina de Elzbieta Szmytka qui reste très contenue. Avec un plaisir toujours croissant, nous y retrouvons Elizabeth Calleo en Morgana d’une grande douceur aimante ; cette artiste exhibe une belle capacité à incarner des rôles fort différents, puisque nous avons pu l’apprécier dans Cadmus et Hermione (Lully) ou encore Idoménée (Campra) qui partageaient peu de points communs, tant sur le plan psychologique qu’en ce qui concerne le style vocal, avec Morgana. Attention toutefois à quelques attaques pianissimo un peu basses. L’Oronte de Topi Lehtipuu s’avère vaillant, frappant toujours droit au but, avec des phrases plutôt bien menées. Enfin, remercions Ewa Wolak pour sa Bradamante avantageusement sonore, présente vocalement, au timbre parfois violent qui souligne adroitement la difficulté de la lutte qu’entreprend le personnage pour retrouver son amour.
BB