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Chroniques
Alexandre Scriabine, un portrait
Geoffroy Couteau, François-Frédéric Guy
D’un portrait d’Alexandre Scriabine en quatre traits, esquissé le 14 mars avec une exécution de la Symphonie en ut mineur Op.29 n°2 par Christian Arming es ses troupes liégeoises, nous entendons se préciser les étapes 3 et 4 au fil de cette journée médiane. Retrouvant l’opulente fantaisie de Garnier – mais oui, on lui doit également l’Hôtel de Paris –, notre parcours dominical commence avec un récital du jeune pianiste français Geoffroy Couteau, entièrement consacré au compositeur russe. Il laisse apprécier une saine délicatesse du toucher dans l’Impromptu en fa # mineur Op.14 n°2, fort chopinien. De même livre-t-il un opus 9 de belle tenue, avec un Prélude pour la main gauche sans esbroufe et un Nocturne pour la main gauche fort recueilli. Si son interprétation des « petites pièces » satisfait, son approche des sonates ne convainc pas. On la découvre mollement traversée de préciosités sentimentalo-kitchs. De même désir Op.57 nécessite-t-il un engagement plus profond dans la pensée du musicien. Gageons qu’à ruchotter plus avant ce répertoire il en atteindra sans doute l’intense spiritualité.
En fin de journée, quittons la caresse du soleil pour aborder Poème de l’extase Op.54 par l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo. Tout est là ! Outre ses grands poèmes pour orchestre, intégralement donnés lors de cette édition du Printemps des arts, Scriabine a écrit des poèmes pour piano dont le degré d’élévation et l’ambition mystique, pour s’ouvrir sans difficulté à l’auditeur, sont d’un abord difficile à l’interprète. À Berlin, Genève ou Paris nous avons fait connaissance avec Mikhaïl Jurowski en tant que chef de fosse avisé [lire nos chroniques du 22 janvier 2013 et du 13 juin 2011]. C’est un bonheur de le découvrir au concert ! D’une battue jamais dispendieuse, allant toujours droit à l’essentiel qui, outre de vérifier le grand geste scriabinien que l’on sait, doit encore prendre soin de l’écriture des timbres, Jurowski avance vers une extase idéalement dosée et progressive, au fil d’un travail des plus ténus. Disposant de pupitres concernés, avec des bois colorés et des cuivres vaillants, il rend compte d’un scintillement orchestral indicible. Le dessin des flatterzungen de flûte sur les violoncelles charnus, par exemple, se fait entendre ici comme rarement. De même les fortissimi laissent-ils tout percevoir, jamais brutaux.
À peine achevé le Poème de l’extase et avant même qu’il fût créé, Scriabine se lançait dans la composition d’un poème du feu, autrement dit son Prométhée Op.60 pour lequel il écrivit une partie « de lumière » pour le clavier à couleurs de Rimington. Il était certes louable de tenter de restituer cet aspect non négligeable de l’œuvre… bien que le résultat ne s’avère guère signifiant aujourd’hui. C’est bien plutôt dans l’usage des bois et des percussions qu’on perçoit une modernité annonçant Varèse, par exemple. Si l’orchestre monégasque sert avec ferveur cette exécution, de même que François-Frédéric Guy au piano, on en regrette la ciselure moins subtile de la dynamique, l’opulence un peu lourde et l’absence de la partie de chœur. Il n’empêche : la résonnance finale est tout simplement extraordinaire.
Achevée en 1904 et créée à Paris au printemps suivant, la Symphonie en ut mineur Op.43 de Scriabine s’appelle Divin poème. Rendez-vous le 4 avril à l’Auditorium Rainier III où l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI la jouera sous la battue d’Alexandre Vedernikov.
BB