Chroniques

par bertrand bolognesi

Alfred Brendel, les adieux
Beethoven, Haydn, Liszt, Mozart, Schubert

Verbier Festival and Academy / Église
- 25 juillet 2008
le pianiste Alfred Brendel, phorographié par Marc Shapiro au Festival de Verdier
© marc shapiro

Après soixante ans de récitals et de concerts, Alfred Brendel annonce qu'avec son art il se retire loin des salles, des studios et de la « carrière ». Avant de pouvoir se consacrer plus pleinement à l'écriture, il se lance dans une grande tournée d'adieu, initiée par un programme de récitals puis prolongée cet hiver avec le Concerto en mi bémol majeur K271 de Mozart. Son sens de l'humour n'étant pas à un paradoxe près, le pianiste est invité pour la première fois au Festival de Verbier où transmettre intimement ses affinités musicales à travers le programme qu'il promène depuis quelques semaines.

La cohérence du menu est exceptionnelle. Ouverte par l'Andante et variations en fa mineur Hob. XVII:6 de Haydn, la soirée est dès l'abord délicatement ouvragée d'une relative anxiété joueuse, une monochromie sans fadeur qui alterne un pudique éclairage à une gravité souple, dans un équilibre incroyable qui en élève l'intention. La Sonate en fa majeur K533 conclue par le Rondo K494 de Mozart se colore peu à peu dans un moelleux retenu qu'aucune saveur ne parvient à dominer vraiment, si ce n'est une mélancolie discrète. L'Andante peut alors chanter en toute simplicité. La Sonate en mi bémol majeur Op.27 n°1 de Beethoven arbore une nitescente euphorie dont la clé de voûte assoit un confort libérateur, pour l'interprétation comme pour l'écoute. Le maître invente et réinvente sans relâche, d'une main heureuse.

Après l'entracte, c'est à écouter une D960 de légende qu'il nous convie. Dans un lustre délicat et souple, il aborde sans lanterner le premier mouvement de l'ultime sonate de Schubert qu'il divague savamment entre les contrastes de Beethoven et la claire onctuosité de Haydn. Au mélomane qui serait venu chercher là les derniers mots d'un sage, il offre l'impulsion d'une éternelle jeunesse – celle d'un compositeur emporté si jeune par la grande dissimulée –, la morbide nostalgie de redire sans cesse ce qui jamais ne sera dicible comme pour en mieux cerner, en le déliant, tout ce qui jamais n'aboutira. Au contraire de bien des conceptions, c'est un Schubert violemment impudique qu'il révèle alors, jusqu'en cet Andante sostenuto fiévreux où la rébellion, pour s'y fatiguer, continue de couver sans se calmer. Le Lied somptueusement chanté du Scherzo sert une jovialité aigre-douce à laquelle font écho les quelques grondements maladifs des derniers pas, jamais résignés. Bouleversante, cette interprétation fait vivre le drame de toute une vie, si courte fut-elle, en trois petits quarts d'heure dignement insoutenables.

Ce n'est pas au hasard qu'Alfred Brendel choisit ses bis, l'on s'en doute. Au public debout qui le salue plus que chaleureusement, il indique une correspondance motivique sensible en jouant l'Andante du Concerto italien de Bach, répondant aimablement à celui de la D960. Il n'aurait pas été juste d'oublier l'un des compagnons de toujours : avec Le lac de Wallenstadt, extrait des Années de pèlerinage, c'est à la fois d'un hommage à Liszt et d'un clin d'œil à la Suisse qu'il auréole son deuxième encore, dans une généreuse orchestration qui en livre l'altière poésie. Enfin, les brumes romantiques et classiques se rejoignent idéalement dans l'Impromptu en sol majeur Op.90 n°3 (Schubert).

BB