Chroniques

par irma foletti

Alfredo il Grande | Alfred le Grand
opéra de Gaetano Donizetti

Festival Donizetti Opera / Teatro Donizetti, Bergame
- 24 novembre 2023
Au Festival Donizetti Opera 2023, "Alfredo il Grande" (1823)...
© gianfranco rota

Après Pietro il Grande mis à son affiche il y a quatre ans [lire notre chronique du 23 novembre 2019], le Festival Donizetti Operade Bergame programme cette année Alfredo il Grande. Il s’agit à nouveau d’une action menée dans le cadre du projet #donizetti200, qui propose, à chaque édition du festival, un titre créé la même année mais deux siècles plus tôt. Plus précisément, la première d’Alfredo il Grande eut lieu en juillet 1823 au Teatro San Carlo de Naples, sans conteste la plus fameuse maison d’opéra au monde à l’époque, où Rossini avait monté la majorité de ses opere serie au cours de la décennie précédente. Composée par un Gaetano Donizetti de vingt-six ans, l’œuvre fut loin de rencontrer le succès, au point d’être rapidement retirée après la première, soit a priori seulement trois représentations au total. Et, sauf erreur, pas non plus de reprise avant la présente résurrection de bicentenaire, les seuls éléments discographiques accessibles étant deux airs gravés il y a plusieurs années sous label Opera Rara, l’un pour ténor (sur le CD Bruce Ford, Romantic heroes) et l’autre pour soprano (chanté par Della Jones dans A hundred years of Italian Opera – 1820-1830). Autant dire que cette représentation en forme de découverte valait le voyage à Bergame !

Pour ce dramma per musica, le livret, tiré d’éléments historiques, d’Andrea Leone Tottola, également librettiste régulier de Rossini, situe l’action en Angleterre, sur l’île d’Athelney, pendant l’invasion danoise du IXe siècle. La reine Amalia, aidé par le général Eduardo, est à la recherche de son mari, Alfredo roi d’Angleterre. Caché, celui-ci est débusqué par Atkins, le méchant général danois. Victoire des Anglais au premier acte, mais tentative de revanche au second avec la reine prise en otage par les Danois, avant sa libération et une conclusion heureuse. Au bilan, un livret sans réel suspense, écrit en majorité sur des intrigues guerrières, auquel il manque sans doute la dose habituelle de sentiments entre certains protagonistes.

Le spectacle réglé par Stefano Simone Pintor commence par irriter, avant de séduire davantage au second acte. C’est en tenue de soirée que solistes et choristes entrent en scène, un écran en fond de plateau recevant des images et de petites séquences vidéo de guerre, avec bâtiments détruits ou brûlés, en particulier des bibliothèques. Les protagonistes se passent un livre, comme s’ils racontaient une histoire, tandis que des pages d’ouvrages ou des parchemins apparaissent au fond, la plupart du temps. On voit aussi de brèves séquences de l’assaut du Capitole à la suite de la défaite de Donald Trump aux dernières élections américaines, et ce personnage très médiatisé au torse nu et vêtu d’une peau de bête et de cornes. Le metteur en scène fait donc le lien avec nos Danois du IXe siècle, mais est-ce vraiment nécessaire de brouiller ainsi les pistes pour illustrer un opéra inconnu du public ? Les choses se calment, heureusement, assez radicalement au second acte, avec uniquement de très rares secondes de projections vidéo, le traitement devenant plus naïf avec un appréciable humour au second degré, comme les porte-partitions des choristes aux couleurs des drapeaux anglais et danois en forme de boucliers.

Deux rôles sont très développés par le compositeur dans cet opus, ceux du roi et de la reine d’Angleterre. En Alfredo, le ténor Antonino Siragusa fait plutôt bonne figure, même si son format vocal est loin de concurrencer celui du créateur du rôle, le légendaire baritenore Andrea Nozzari. Le registre grave sonne, en effet, discrètement, mais le chanteur, après de premiers aigus en délicatesse avec la justesse, parvient à apporter du brillant à son registre supérieur [lire nos chroniques de Tancredi, L’Italiana in Algeri, Semiramide, Ermione et Otello]. Il doit affronter, en particulier, le très long air en plusieurs section au second acte, Che più si tarda?, pour lequel le metteur en scène lui fait chausser ses lunettes et se placer en avant-scène derrière un pupitre, comme au concert. La lumière de salle est alors allumée, puis les projecteurs sont orientés vers le splendide plafond du théâtre pendant la partie lente, magnifiquement accompagnée par la clarinette solo. Le rôle d’Amalia pourrait ravir la vedette au rôle-titre, tant il est sollicité, en solo, duo ou dans les ensembles. C’est d’ailleurs à la reine qu’échoit la conclusion de l’œuvre, lors du difficile rondo Che potrei dirti, o caro?. Le soprano Gilda Fiume s’y montre très convaincant, en termes de musicalité, de fluidité des passages vocalisés et gestion des grands intervalles, sa prestation gagnant en assurance au cours de la soirée et faisant (presque) oublier des écarts d’intonation dans les passages les plus véloces du premier acte.

En gentil général Eduardo, Lodovico Filippo Ravizza révèle un baryton bien timbré, tout comme le méchant Atkins, incarné avec autorité par la basse Adolfo Corrado. Au rôle du pasteur Guglielmo, Antonio Garès prête un ténor au son bien concentré et clair pour l’élocution du texte [lire nos chroniques d’Il trittico et de Siberia], alors que le troisième ténor, Andrés Agudelo, séduit également l’oreille en Rivers, du camp des méchants Danois. Côté féminin, on goûte à la voix chaude et souple du mezzo Valeria Girardello (Enrichetta), Floriana Cicìo complétant la distribution en Margherita, l’autre paysanne.

Sous la direction de Corrado Rovaris [lire nos chroniques d’Il prigonier’ superbo, La Salustia, Lucia di Lammermoor et La creazione del mondo], les musiciens de l’Orchestra Donizetti Opera mettent une belle application à jouer cette rareté, l’ensemble se laissant parfois légèrement déborder par l’enthousiasme, en couvrant certaines voix. Les artistes du Magyar Rádió Énekkara (Chœur de la Radio Hongroise) ne rencontrent pas ce problème, faisant preuve tout du long d’une estimable vaillance et d’une forte présence vocale.

IF