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Chroniques
Aliados | Alliés
opéra de Sebastian Rivas
Présenté en création gennevilloise durant le festival ManiFeste (Paris), le 14 juin 2013, Aliados est le premier ouvrage lyrique de Sebastian Rivas (né en 1975). Sa reprise nancéenne, hors du circuit de la musique contemporaine, est à saluer, d’autant qu’elle méprise la désinvolture en offrant un nombre risqué de représentations (cinq, dont une matinée) et une riche brochure de salle (documents, photos). Au risque de choquer les quelques spectateurs partis en cours de route, on vit ce soir l’un des spectacles les plus excitants de ces derniers mois – surtout si l’on considère le récent Solaris, à équivalence générationnelle [lire notre chronique du 5 mars 2015].
Conçu d’après un livret d’Esteban Buch, cet « opéra du temps réel » s’inspire d’un épisode historique encore dans les mémoires, certes moins éminent que la visite de Nixon en Chine [lire notre chronique du 18 avril 2012] mais tout aussi fécond pour l’imaginaire. Fin 1998, en effet, ayant cédé la présidence du Chili dirigé d’une main sanglante (1973-1990) puis le commandement des armées, Augusto Pinochet se rend à Londres pour des raisons médicales. Il y est arrêté puis contraint à résidence, suite à une plainte internationale déposée en Espagne pour « génocide, terrorisme et tortures ». Le 26 mars 1999, il reçoit la visite de Margaret Thatcher, ancien Premier ministre du Royaume-Uni (1979-1990), à qui le Chili apporta son appui lors de la guerre des Malouines (avril-juin 1982) contre l’Argentine, leur ennemi commun. Que vont se dire nos deux alliés à la retraite, l’un dépressif à l’idée de ne jamais revoir sa terre natale, l’autre en proie aux premiers symptômes d’une dégénérescence cérébrale ?
En charge d’un huis clos bilingue en quatorze épisodes qui ne manque pas d’humour noir (la palme au « no pasarán! », prononcé par une Dame de fer conchiant le communisme), Antoine Gindt place un écran en surplomb de la scène, qui enrichit l’approche de cette rencontre diplomatique, à l’instar des fausses traductions assumées par un aide de camp chilien et une infirmière anglaise en charge de nos potentats sur le déclin. Réalisés caméra sur l’épaule, des gros plans accentuent l’omniprésence d’un passé qui régente des regards vides, palpable à travers la vanité des cadeaux protocolaires échangés, le déploiement au sol d’une mosaïque de photos aux allures de carte d’Etat-major, mais surtout lors de trois interventions d’un conscrit argentin dont le cri ouvre le spectacle, perdu comme trois cents autres avec l’acier du General Belgrano, un croiseur vétéran de Pearl Harbor. Philippe Béziat en assure la réalisation live, avec une fluidité virtuose.
Si l’auteur du Plancher de Jeannot [lire notre chronique du 17 mai 2013] souligne d’une musique tendue les halètements et bégaiements expressionnistes de la chair sacrifiée, c’est en contraste avec un Ensemble Multilatérale nuancé, aéré parfois jusqu’au silence (la première intervention du dictateur en chaise roulante), d’autant qu’il se limite à six instrumentistes guidés par Léo Warynski : Mathieu Adam (trombone), Antoine Maisonhaute (violon), Benoît Savin (clarinette basse), Lise Baudoin (piano), Gianny Pizzolato (percussion) et Wim Hoogewerf (guitare). Outre des chuchotis variés et la spatialisation d’un remord thatchérien – depuis Uqbar, Rivas a plus d’un pied à l’Ircam [lire notre chronique du 14 octobre 2006] –, on trouve ici quelques amorces patriotiques et des citations – Dido’s lament, excentré dans la bouche d’une « servante » qui exhorte au retour de la mémoire, les diableries d’Histoire du soldat, etc.
Après des projets tels Les Boulingrin (Aperghis) et Massacre (Mitterer) [lire nos chroniques du 12 mai et du 26 février 2010], Lionel Peintre continue de servir l’art d’aujourd’hui. Son personnage de général reclus le mène à des ruminations divagantes comme à de longues phrases mélancoliques. Celle qu’il appelle Señora Baronesa se tient à bonne distance, à savoir Nora Petročenko, mezzo-soprano entre mugissements et fulgurances. Baryton viril à souhait, Thill Mantero incarne l’aide de camp avec du corps et quelques incursions réussies dans l’aigu, tandis que Mélanie Boisvert possède un soprano facile et souple. Enfin, Richard Dubelski est un Conscrit halluciné qui marque les esprits.
LB