Chroniques

par bertrand bolognesi

Aline Zylberajch et Bertrand Porot
un concert chez Mademoiselle Certain

Festival d'Ambronay / Tour Dauphine
- 11 octobre 2008
la claveciniste Aline Zylberajch raconte la musicienne Mademoiselle Certain
© patoch

Plutôt que de présenter au public un concert accompagné d’une notice instructive et copieuse qui ne serait peut-être pas lue, Aline Zylberajch [lire notre dossier] a placé son récital sous la bienveillance du musicologue Bertrand Porot, lui-même claveciniste. Après un Prélude plutôt robuste d’Élisabeth Jacquet de La Guerre, l’orateur conte l’histoire de Marie-Françoise Certain, talentueuse et célèbre claveciniste de la fin du XVIIe siècle, qu’il amène par quelques vers élogieux de Jean de La Fontaine.

Née le 15 avril 1662, soit au premier tiers du règne de Louis XIV, dans une famille de la petite aristocratie, Marie-Françoise Certain étudie le clavecin, comme il est naturel dans le cadre de cette éducation dite « agréable » que l’on fait suivre aux petites filles de son milieu. Mais s’il leur est permis d’approcher l’instrument, les classes d’harmonie, de contrepoint et de composition sont exclusivement réservées aux garçons. Proche de Lully, le luthiste et chanteur Pierre de Nyert sera son maître et l’introduira auprès du surintendant de la musique du roi. À quinze ans, elle est bientôt reconnue par le monde musical auquel elle joue les pièces de Jacques Champion de Chambonnières, de Louis Couperin ou de Jean-Henry d’Anglebert dont nous entendons quelques transcriptions d’extraits d’opéras de Lully, comme il était courant d’en écrire à l’époque.

De fait, il y aura plusieurs angles de vue sur ce récital.
Outre qu’il permet d’appréhender une interprète de renom et, à travers elle, les grands compositeurs du moment, on peut aussi s’attacher à l’appropriation de l’œuvre d’un musicien par d’autres, puisque sonnent dans la Tour Dauphine des extraits d’Isis et dePhaéton de Lully, ou encore d’Alcide de Marin Marais, adaptés « par un très habile homme », dit le recueil non explicitement signé de 1693.

Grâce à sa bonne gestion, la veuve Certain parvient à renflouer les caisses de la famille qui déménage et s’installe dans l’actuelle rue Thérèse, non loin des appartements de Lully, situés près de l’Académie royale de Musique. À la fin du siècle, Mademoiselle certain est devenue une personnalité musicale appréciée qui mène grand train, comme en témoigne l’inventaire de ses effets, dressés après sa mort en 1711. Comme Élisabeth Jacquet de La Guerre, elle tient salon où les compositeurs livrent leur musique qu’elle joue sur des instruments de grande qualité. Une prestigieuse bibliothèque musicale y grandit rapidement. Bien sûr, son succès éveille des jalousies. Alors qu’une vie de femme ne se conçoit pas hors du mariage ou du couvent, elle est perçue comme une femme libre qui élève seule son enfant. Les chansonniers produisirent quelques couplets calomniateurs la faisant maîtresse de Lully qui, selon eux, aurait « de la mère goûté les grâces »… alors qu’il tomba précisément en disgrâce auprès du roi (entré en dévotion avec l’âge) lorsque fut avéré publiquement son amour pour un jeune homme ! De tous temps, sacrons Paris capitale du ragot.

Après cinq pages de François Couperin dédiées à des femmes clavecinistes de ses contemporaines, Aline Zylberajch prend congé avec L’entretien des muses de Rameau. Vous pouvez retrouver l’artiste au pianoforte, aux côtés de Margit Übellacker au psaltérion, dans un fort beau disque consacré à un répertoire intermédiaire – Johann Schobert, Melchior Chiesa, Carl Philipp Emanuel Bach, Mozart et Johann Ernst Eberlin – que publient les Éditions Ambronay.

BB