Chroniques

par monique parmentier

Amadis de Gaule
tragédie lyrique de Johann Christian Bach

Opéra Royal, Versailles
- 12 décembre 2011
Amadis de Gaule, tragédie lyrique de Johann Christian Bach, à Versailles
© pierre grosbois

Le Centre de Musique Baroque conclut sa saison d’automne avec un réel panache, prenant le risque d’une coproduction qui recrée une tragédie lyrique tombée dans l’oubli depuis sa création en 1779. Fidèle en cela à sa mission, et dans le cadre de sa reconversion en tant que producteur telle que nous l’avait expliquée il y a quelques mois Benoît Dratwicki [lire notre dossier], c'est avec la participation de l'Opéra de Ljubljana (Lituanie), de l'Opéra Comique (Paris), du Palazzetto Bru Zane (Centre de Musique Romantique Française, Venise) et du Château de Versailles que la seule œuvre française de Johann Christian Bach est présentée en France – à l'Opéra Royal, pour commencer. Pour l’occasion, le CMBV édite un magnifique livret (Mardaga) dont on ne peut que conseiller la lecture à quiconque voudrait en savoir plus sur l’environnement musical de la création d’Amadis de Gaule.

Cette tragédie lyrique bénéficie d’une mise en scène fidèle à l’esprit du XVIIIe siècle, mais pas forcément à la lettre, avec une recréation artisanale des décors et des costumes. Lorsque commande est passée à Bach de son Amadis de Gaule, Paris bruisse de toute part de la querelle entre Gluckistes et Piccinistes, entre partisans de l’opéra français et partisans de l’Italien. Pour mieux entretenir cette querelle qui remplit les salles et dont se régalent les milieux artistiques et intellectuels, on fait preuve d’imagination, provoquant d’abord un duel musical entre Gluck et Piccini à qui l’on demande en 1777 de composer un Roland sur le livret de Quinault, puis une Iphigénie en Aulide. En 1778, le nouveau directeur de l’Académie royale de Musique, Anne de Vismes du Valgay fait venir un troisième compositeur dans l’espoir de départager les deux premiers ; ce sera « Jean-Chrétien » Bach dont la renommée n’a cessé de croire à Londres où, depuis près d’une quinzaine d’années, il signe des opéras italiens qui connaissent un grand succès. Mais cet Amadis de Gaule ne réussira pas à réconcilier les adversaires et en 1780, après sept représentations, il disparaîtrait du répertoire. Il faut bien reconnaître que les critiques qui lui furent alors faites expliquent en partie son insuccès et semblent toujours d’actualité.

L’adaptation du livret – que l’on doit au frère du commanditaire, Alphonse de Vismes de Saint-Alphonse – présente des faiblesses qui tendent à faire de cette tragédie un drame par trop humain où les méchants manquent de noirceur. Les ballets y surviennent dans des moments pour le moins inattendus, comme celui de la fin de l’Acte II où les captifs d’Arcabonne et de son frère semblent bien vaillants après les souffrances endurées. Au delà de tout cela, malgré une musique qui semble magnifique, quelques longueurs activent le sentiment d’un assemblage propre à nos oreilles modernes. Les influences reçues par Bach (Rameau par exemple) et celles dont il est à l’origine (Mozart lui doit certainement beaucoup, lui dont il fut un des amis les plus bienveillants), ne permettent pas d’être totalement séduit par l’œuvre.

L’histoire reprend le mythe médiéval d’Amadis, fort à la mode de la Renaissance au XVIIe siècle et introduit en France sous le règne d’Henri IV dans un roman fleuve que l’on doit en grande partie à Nicolas Herberay des Essarts [lire notre chronique du 24 janvier 2010].Au lieu des cinq habituels à Quinault, le livret est réduit à trois actes. Si Amadis est amoureux d’Oriane et en est aimé, la magicienne Arcabonne l’aime. Elle finit cependant par renoncer aux enchantements, avant de se suicider. Cette dernière est plus que jamais au centre de la tragédie qu’elle ouvre de lamentations sur son amour. Dans les deux premiers actes (avec Arcalaüs, son frère), elle met, au-devant de la scène ce monde de la magie où les machines de théâtre font exister monstres, fées et sorciers. Et ce soir, dans une salle où se remarque la présence de jeunes enfants, l’une des grandes réussites est de susciter leur émerveillement (et le nôtre) grâce à ces moyens d’un autre temps tellement oniriques.

Les décors recréés par Antoine Fontaine sont d’une grâce réelle.
Au premier acte, l’évocation de la forêt est, à elle seule, un enchantement. S’il y a peu de changements à vue, le plus fabuleux par sa splendeur est celui qui, à la fin de l’Acte III, fait apparaître dans un char solaire de toute beauté la fée Urgande venue libérer Amadis et Oriane des sortilèges d’Arcabonne. L’inspiration des costumes de Renato Bianchi oscille entre comic fantasy et style galant fin XVIIIe siècle (certains copiant ceux de la création), un mélange des genres pas toujours complètement maîtrisé. Les effets de lumières de Dominique Bruguière sont assez crus, générant des mondes qui se superposent entre l’effroi blafard du tombeau et la sphère des vivants, lumineux comme un soleil de l’Acte III, manquant parfois d’élégance. Plus que la mise en scène de Marcel Bozonnet, respectueuse mais peut-être pas assez directive, car à certains moments les chanteurs semblent laisser à eux-mêmes, ce sont les chorégraphies de Nathalie Van Parys que l’on apprécie : elle s’avère inventive, jouant sur la virtuosité parfois, mais aussi sur l’élégance du geste.

Contrairement à la création, le plateau vocal réuni ce soir n’est pas un plateau de stars. La distribution est homogène et convoque des chanteurs qui tous appartiennent à la génération montante. Ainsi les producteurs leurs donnent-ils la possibilité de se familiariser à l’interprétation baroque, dans ce contexte audacieux et risqué. Aucun des interprètes, hormis peut-être Julie Fuch dans deux petits rôles avec des airs vocalisant réalisés avec beaucoup de brillant, ne convainc pleinement. Mais on sent qu’est bien présente la marge de progrès et qu’il suffira de quelques représentations pour trouver l’équilibre exact. Sans surtitre, les soucis de diction d’Allyson McHardy (Arcabonne) et de Franco Pomponi (Arcalaüs) se laissent accuser. Tous deux imposent néanmoins beaucoup de force de conviction, voire d’émotion pour la première, à leur interprétation. Dans le rôle-titre, Philippe Do use d’un fort joli timbre, mais manque parfois de vaillance. En Oriane, Hélène Guilmette possède une belle déclamation, un timbre séduisant, mais demeure encore un brin trop appliquée.

La musique de « Jean-Chrétien » Bach, elle, est magnifiquement servie par un Cercle de l’Harmonie aux couleurs affirmées. On en goûte en particulier les vents, ainsi que des cordes moelleuses et vivifiantes. La direction souple et précise de Jérémie Rhorer dévoile les timbres, les nuances extrêmement subtiles et les noirceurs si mélancoliques de la partition.

Si cette production d’Amadis de Gaule n’est pas parfaite, elle possède un charme bien réel. Et si la maturité du plateau scénique est encore à gagner, l’orchestre révèle ce que Mozart dut au fils du grand Johann Sebastian, rendant encore plus rayonnante l’œuvre du prodige salzbourgeois et nécessaire la plaisante découverte de cette tragédie lyrique.

MP