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Chroniques
An die Freude
Symphonie en ré mineur Op.125 n°9 de Beethoven/Liszt
Le temps passe, dicton agréable du Festival des Heures avec six concerts donnés aux heures canoniales, entre deux journées ensoleillées, dans la grande nef du Collège des Bernardins. Pour refermer la septième édition de l’événement, l’art de Beethoven est célébré par les pianistes Philippe Cassard et Cédric Pescia, donnant ici la monumentale Neuvième Symphonie. De réduire le génie beethovénien à l’ultime architecture musicale créée à Vienne en 1824 et, dans un piano, d’enfermer cette œuvre grandiose conçue pour orchestre, quatuor vocal soliste et chœur, c’est à Ferenc Liszt qu’est revenue la gageure. Mieux qu’une offrande, classant un musicien et une symphonie comme espèces à part, sous quels atours se montre donc en concert cette transcription de 1850 pour deux pianos, marque d’un grand artiste autant que d’un fin poète ?
Piquant scorpion que l’Allegro, entamé par Philippe Cassard, où les deux pianistes très souvent alternent ou fusionnent, montrant déjà une telle hâte à mener l’auditeur vers les cieux jusqu’au bonheur, main dans la main avec le Schöpfer – créateur loué dans l’Ode à la joie, le poème de Schiller du finale. « …à travers les brumes, de voir naître l’étoile…, pour citer un autre immense poète, parisien et bicentenaire (Charles Baudelaire, Paysage ; in Les fleurs du mal, Éditions Poulet-Malassis, 1857), paraît ici vibrant, presque étouffant, et nerveux – presque violent. Sans s’égarer dans les incidentes, les deux solistes se prodiguent dans l’exigeant exercice de fidélité au chef-d’œuvre symphonique, à travers les déroulements virtuoses de Liszt. Passer en trombe ou épancher en symbiose le romantisme allemand le plus poignant, c’est procéder par le fougueux flux de conscience tel que, dans les arts modernes, se représente aujourd’hui la Neuvième. Riche de ténébreux tourments mais encore très posé, l’humain, avec les démangeaisons de son coeur, pris de sauvagerie engoncée, fait bien figure de thème complexe mais clair, aussi, dans ce premier mouvement très vif.
Quand survient l’étincelle, puis la course prométhéenne, la double traction musicale semble trouver le parfait tempo dans le glorieux enchaînement, aussi bien pensé dans une foi héroïque par Beethoven qu’inspiré par le talent fou de Liszt. Au terme du Scherzo, le message fraternel brille, bien qu’à travers un climat de rudesse extrême. La joie peut certes éclater, l’alerte aux guerres aura été donnée avec une force maximale. À peine moins éprouvant, l’Adagio molto e cantabila fait la part belle au prodigieux don d’introspection de Liszt. Sortis d’une certaine torpeur, l’ascension du Finale commence, élan wagnérien vers un air éthéré... Mais l’envol est interrompu net pour une lecture très théâtrale de l’Ode à la joie de Friedrich von Schiller par le comédien Nicolas Vaude.
Quand la musique reprend, elle résonne en chaque mélomane comme une évidence, une voix familière, à ceci près que les fascinantes recherches orchestrales prennent des accents surprenants dans le jeu pianistique. Le fameux thème apparaît d’abord en rondeur et sans précipitation. Puis il ressemble à un cantique, entonné avec la puissance de l’unisson. À grandes vitesse et virtuosité, le poème trouve une expression originale de lyrisme loquace, notamment par le rendu du quatuor chanté, un peu étrange et avec beaucoup de charisme. La Joie est bel et bien fêtée ensuite, tous feux crépitants, au sublime Allegro energico, puis comme débridée. De la scansion de l’hymne aux scintillements astraux, le courage et la vitalité sont enfin conquérants. Le Prestissimo montre un sourire invincible, triomphal – à en arracher le masque !
À la liesse du public répond un bis littéraire, par Nicolas Vaude, convoquant Les Chercheuses de poux d’Arthur Rimbaud (in Les poètes maudits publié par Verlaine, Éditions Léon Vanier, 1884). Dans ce grand bonheur retrouvé des festivals, tout semble à nouveau possible, même l’ouverture de soirée : 4’33 de John Cage.
FC