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Chroniques
An index of metals
vidéopéra de Fauto Romitelli et Paolo Pachini
Dernière œuvre du compositeur italienFausto Romitelli disparu en juin dernier au terme d'une longue maladie, An Index of Metals joint la grande richesse de l'écriture du musicien à son goût pour le détournement de certains habitus musicaux soudain sortis de leur contexte, mais pas seulement. On trouvera plusieurs anges annonciateurs de ce vidéopéra dans ses travaux précédents, en suivant les corrosives Lessons du cycle Professor Bad Trip ou en se souvenant des impuretés décisives de Trash TV Trance. Restant sur sa fin avec les résultats les plus brillants de la sophistication des spectraux, Romitelli observe activement l'explosion de la musique populaire anglo-saxonne dans années soixante, contaminant son esthétique avec brio, jusqu'à inventer une sophistication plus complexe encore et qui, pourtant, se fait diablement entendre. Plus que d'accueillir la transe de Sonic Youth, la techno d’Aphex Twin, le trip hop de Portishead, le brouillage de Sigur Rós, le trash rock incantatoire de PJ Harvey, cette musique en accumule génialement les nutrimentsavec un don terrible de la multiplication et de l'hybridation qui distord comme aucun autre toute idée d'une écoute « confortable » de notre part.
Georges-Élie Octors est un des grands prêtres d'une étrange cérémonie, à la tête de l'ensembleIctus, étroitement lié au compositeur. Sur trois écrans, les images de Paolo Pachini et Leonardo Romoli suivent les alliages et les croisements musicaux en formant d'extraordinaires synapses, traces lumineuses, reflets, impressions aquatiques, mouvements comme raclés, déroulés de plus en plus rapides d'architectures devenues plis, circonvolutions, bourrelets, ou au contraire nombre infini et sans chiffre, s'ouvrant vers autant d'états modifiés de conscience rendus possibles, vertigineusement nauséeux.
Romitelli a longtemps hésité : allait-il ou non écrire l'ouvrage pour un contreténor ? Il n'a pas tranché tout de suite – certains artistes ont même été contactés dans l'éventualité d'une création. Dans le souci de jouer sur les codes de l'opéra autant que sur ceux de la rave party ou du light show, il était peut-être plus judicieux, en effet, de convoquer un soprano femme. Un homme risquait d'évoquer une autre planète musicale (baroque et italienne) ou d'accuser, en une appartenance limitative, le parfum de la représentation (tant d'artistes « retournent leur voix » dans les répertoires populaires cités dans cet article), tandis qu'une présence féminine – la voix et, bien sûr, le corps (si tant est que ce ne soit pas la même chose) – ne pouvait manquer de brouiller plus efficacement encore les références.
Aujourd'hui, Donatienne Michel-Dansac est méconnaissable !
On sait bien le dosage personnel de ses prestations, entre un engagement certain et une discrétion dévouée. Ici, elle nous emporte, hypnotise et, peu à peu, se laisse sacraliser jusqu'en la contingence microphonique elle-même. Tour à tour pop star provocatrice et diva vibrante, elle transcende les matériaux compositionnels, con anima pourrait-on dire, donnant vie à un organisme monstrueux : An Index of Metals.
BB