Chroniques

par bertrand bolognesi

Andrea Chénier | André Chénier
dramma di ambiente storico d’Umberto Giordano

Festival Castell Peralada / Auditori Parc del Castell
- 26 juillet 2014
au Festival Castell Peralada, Andrea Chénier, opéra d’Umberto Giordano
© miquel gonzález

Quelques semaines après le succès de La Bohème à Turin avait lieu à Milan la création d’Andrea Chénier, quatrième ouvrage (composé lui aussi sur un livret du talentueux Luigi Illica) du pugliese Umberto Giordano, cadet de l’illustre Puccini. Inspiré de la Révolution française et de la vie – pour ne dire pas la mort – du poète André Chénier, guillotiné par la Terreur en mars 1794, cet opéra connut d’emblée le succès et fut volontiers rejoué sur les plus grandes scènes lyriques du monde, dont celle du Met’ en 1921. Il n’est cependant pas si fréquent de le voir de nos jours, comme en témoigne l’affiche internationale de la saison qui s’achève : le public suédois put l’applaudir en janvier 2014, celui de New York en mars, le zurichois en avril et le viennois en mai, ce qui n’est pas négligeable, Andrea Chénier demeurant néanmoins absent des théâtres italiens et français.

La recette dramaturgique en étant largement éprouvée – l’infiltration de la brûlante réalité historique par une intrigue amoureuse – et la musique (où sonnent vigoureusement La Marseillaise, La Carmagnole et Ah, ça ira à la suite d’un menuet poudré) d’une facture qu’on a trop vite déclarée « vériste », avec tout ce que d’un rien mal dégrossi le terme peut sous-entendre, une telle discrétion demeure mystérieuse, quand la première scène nationale française garde la production de Giancarlo del Monaco dans ses cartons depuis cinq ans [lire notre chronique du 3 décembre 2009]. Aussi est-ce sur les gradins de l’auditorium de plein air du Festival Castell Peralada qu’on retrouve l’œuvre, dans une nouvelle réalisation fidèle et parfaitement réglée, signée Alfonso Romero Mora, avec la complicité du scénographe Ricardo Sánchez Cuerda et de Félix Garma pour les lumières. C’est sous le plafond lézardé d’un salon dix-huitièmiste arborant des glaces au tain passablement piqué que s’ouvre la danse du premier acte. Les perruques ne vont pas sans poussière, quand soies et taffetas déjà se ternissent. Les scènes d’ensemble s’organisent idéalement sur ce plateau qui, sans modifier vraiment sa structure, évolue radicalement au fil de la représentation, conjuguant des éléments constants qui peu à peu se ruinent. On ne s’y trompe pas : la Révolution n’est pas moins condamnée à la tartufferie que l’absolutisme combattu.

Un majordome engage cérémonieusement les premières notes de l’Acte I, un Sans-culottes fait de même au II par un grand mouvement exalté du drapeau de la République, mais la suite n’aura que faire de tout simulacre, un buste impersonnel veillant implacablement sur la pseudo justice bourgeoise qui dupe la populace sottement réjouie de voir voler les têtes. Au final, le lustre fatigué de la noblesse est encore là, mais la liberté n’a pas vaincu. Dans une sobriété saisissante, la mise en scène façonne les moments intimes, jusqu’à l’exécution des amants, ici sagement écurée d’incarnation. Le résultat dépasse largement les tentatives genevoises [lire notre chronique du 19 septembre 2011], liégeoise [lire notre chronique du 14 mars 2008] et nancéiennes [lire notre chronique du 7 mars 2008], sans parler du Grand-Guignol lutécien.

Outre l’aspect théâtral, on admire le niveau de la distribution réunie et l’efficacité des choristes du Liceu (dirigés par José Luis Basso). Mireia Pintó bien impactée (Bersi), Àlex Sanmartí luxueusement sonore (Mathieu), Antoni Duran d’évidente autorité (Dumas) sont autant de rôles secondaires fort bien tenus. L’oreille est littéralement happée par les Fléville et Fouquier Tinville remarquablement timbrés de José Manuel Díaz dont s’impose la présence. Remplaçant Eva-Maria Westbroek initialement prévue, le soprano hongrois Csilla Boross met au service de Maddalena une onctuosité irrésistible dont bénéficient des duos amoureux d’une densité rare. Lui répondent deux rivaux somptueusement chantés : le Gérard confortablement timbré de Carlos Álvarez [photo] qui toujours phrase avec une grâce robuste, le Chénier tendre, souplement nuancé de Marcelo Álvarez, plus probant encore qu’en 2009 à Paris. Tous trois sont chaleureusement applaudis à la fin d’une prestation qui rend un bel hommage vocal au ténor émilien Carlo Bergonzi, habitué du rôle-titre, disparu la nuit dernière.

À la tête de l’Orquestra Sinfónica del Gran Teatre del Liceu (Barcelone), Marco Armiliato plonge immédiatement l’auditeur dans le sujet, grâce à l’écriture tendue de Giordano, bien sûr, mais encore par la vivacité avec laquelle il la joue. Tout en ciselant les références courtoises du premier acte, avec son élégante pastorale, la légèreté de sonorité qu’il maintient à la fosse favorise une mobilité parfaitement expressive qui, par moments, atteint au flamboyant. Une fort belle soirée, donc !

BB