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Chroniques
Andrea Chénier | André Chénier
dramma di ambiente storico d’Umberto Giordano
En coproduction avec l’Opéra de Tours où elle fut créée au printemps dernier, la mise en scène de Pier Francesco Maestrini [lire notre chronique de La campana sommersa] relève d’un classicisme élégant, sans aucune touche de modernité… une rareté, de nos jours ! Dans le château de la Comtesse de Coigny, au premier acte, les serviteurs dépoussièrent le lustre descendu devant un tableau monumental de paysage, en fond de plateau. Les quelques éléments du décor de Nicolás Boni [lire notre chronique d’El sueño de una noche verano] sont un canapé et un fauteuil à gauche, ainsi qu’un clavecin à droite. Les invités arrivent, vêtus des riches costumes de Luca Dall’Alpi, puis un faune et deux bergères dansent une charmante gavotte avant que ne débarquent les paysans miséreux. Un tulle occupe le cadre de scène, sur lequel sont projetés quelques feuillages. Après le tableau de Jacques-Louis David, La mort de Marat (1793), pendant le précipité, le deuxième acte propose sur une place des petites saynètes en arrière-plan, nombreuses et répétitives dans un court périmètre, ce qui donne rapidement une sensation d’artifice, comme pour meubler sans vraiment apporter de valeur ajoutée. Le III au tribunal révolutionnaire, avec le public disposé tout en travers derrière barrières et fenêtres en surplomb, puis le IV où la grille de la prison occupe presque tout le cadre, sont bien plus statiques et davantage réussis. Au dernier acte, le tulle est – enfin ! – levé, ce qui permet de distinguer les détails de physionomie des protagonistes et de goûter une acoustique plus favorable.
L’Opéra de Nice parvient brillamment à aligner trois grandes voix dans les rôles principaux, à commencer par Luciano Ganci dans celui du poète. Le ténor italien, à ses débuts en France dans cette production, est une très belle découverte. Il compose un Chénier de fort impact, avec un timbre et une conduite de chant agréables, des aigus particulièrement victorieux, dès son air d’entrée, Un di, all’azzurro spazio. Tout juste détecte-t-on de légers signes de fatigue à l’Acte IV à l’issue du duo avec Maddalena, long et tendu. On écoute à nouveau avec bonheur la Maddalena de Cellia Costea vue à l’Opéra de Toulon il y a un mois [lire notre chronique du 11 octobre 2019], une voix large de soprano qui correspond bien à ce répertoire, faisant passer à nouveau beaucoup d’émotion dans La mamma morta, magnifique dans ce mélange de prière et de lamentation, un air qui ne nous a jamais autant rappelé Vissi d’arte de Tosca. Le baryton Carlos Almaguer incarne, quant à lui, un Carlo Gérard proche de l’idéal : sonore, mettant du mordant sur ses attaques, adoptant un style vindicatif mais sans outrance. Kamelia Kader chante le rôle de Bersi, avec des aigus forte bien plus épanouis que la partie inférieure du registre. Emanuela Pascu fait encore meilleure impression en Comtesse de Coigny, puis une Madelon aux graves pleins et assurés, émouvante aussi, même si la chanteuse est encore loin d’avoir l’âge de la vecchia Madelon ! Parmi les rôles masculins plus secondaires, on retient surtout le très beau baryton de Serban Vasile (Matthieu) – une voix saine et magnifiquement timbrée –, ainsi que Luca Lombardo (L’incroyable) pour l’instrument concentré, désormais ténor de caractère, aux côtés de Richard Rittelmann (Pietro Fléville, Fouquier Tinville), Frédéric Diquero (L’abbé) et Frédéric Cornille, un Roucher nettement moins convaincant.
György Győriványi Ráth, le directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Nice, est au pupitre et produit de très belles couleurs à partir de la fosse. Les tempi ne sont pas spécialement rapides – l’Acte II, par exemple, est pris plutôt lentement, amenant un discours musical intéressant –, ce qui n’empêche pas le chef de dessiner un relief marqué au drame, sans forcément recourir à des tutti bruyants qui caractérisent souvent ce répertoire vériste. Les chœurs sont en place, mais plus ou moins en réussite à différents moments de la soirée : on entend les soprani saturer dans l’extrême aigu et quelques infimes décalages de départs des différents pupitres. Globalement, ceci ne vient pas gêner une belle soirée d’opéra. On en redemande… mis à part le tulle baissé pendant trois actes sur quatre !
FJ