Chroniques

par bertrand bolognesi

Andrea De Carlo et Leonardo García Alarcón
pièces pour viole de gambe et clavier

Festival d’Ambronay / Tour Dauphine
- 12 octobre 2003
Bertrand Bolognesi photographie Andrea De Carlo et Leonardo García Alarcón
© bertrand bolognesi

Le Festival d’Ambronay a ses traditions : les grands concerts du soir et du dimanche après-midi à l’Abbatial, les concerts Jeunes Solistes le samedi à 17h à la Tour Dauphine, et le récital du dimanche matin, dans le même lieu. Lors de ce week-end venant conclure cinq semaines festives d’une grande qualité, nous avons entendu un intéressant programme pour viole de gambe et clavier, réunissant le gambiste Andrea De Carlo et le claviériste Leonardo García Alarcón, à l’heure de la messe. Le premier est romain, connut d’abord une carrière de contrebassiste de jazz qui l’amena à se produire avec des formations estimées, puis étudia la viole de gambe auprès de Paolo Pandolfo. Argentin, le second commença par apprendre le piano et obtint finalement un diplôme de clavecin à Genève il y a six ans, après lequel il perfectionna son art au Centre de Musique Ancienne de cette ville, abordant l’orgue avec de grands maîtres. Il dirige aujourd’hui La Cappella Mediterraneaqu’il a fondé à Genève. Ces deux artistes sont membres de l’ensemble Elyma.

Leonardo García Alarcón ouvre cette matinée en présentant brièvement le propos musical choisi : une invitation à se déplacer du sud au nord à travers le répertoire pour viole de gambe et clavier, en suivant simplement l’histoire. Pour commencer, un extrait du Tratado de glosas de Diego Ortiz, paru à Rome en 1554. Le compositeur est né à Tolède en 1510, ville qu’il quitte à vingt ans pour l’Italie où il deviendra maître de la chapelle royal du Duc d’Albe à Naples, alors espagnole, en 1555 jusqu’à sa mort en 70. Dix ans après Silvestro Ganassi et sa Regola Rubertina, il est un des premiers à écrire un recueil de variations instrumentales (nommées glosas) sur un thème, sorte de traité du jeu de viole, offrant une riche variété d’ornementation et de principes d’improvisation, héritée des pratiques de la Renaissance. C’est dans ce Tratado de glosas qu’apparaît la Recercada tercera sobre « Doulce Mémoire », chanson de Pierre Sandrin. Il édite également un recueil de compositions religieuses appelé Musicae comprenant de nombreux psaumes, hymnes et motets, ainsi qu’un Magnificat.

La pièce présentée ce matin bénéficie du jeu soigné de l’organiste, sur un petit instrument à cinq jeux joliment flûté. Leonardo García Alarcón articule ensuite avec beaucoup de clarté une pièce du Sévillan Francisco Correa de Araujo, élève de Peraza et Guerrero. Né en 1584, il sera quinze ans l’organiste de la collégiale San Salvador de Séville à laquelle il restera fidèle jusqu’en 1640, malgré les flatteuses propositions de nombreuses autres cathédrales, dont les plus prestigieuses furent celles de Malaga et de Tolède. En 1640, il accepte l’offre de celle de Segovia, poste qu’il occupe jusqu’à sa mort en 1654. Constitué de soixante-neuf morceaux, de nombreux conseils d’interprétation, de trois séries de variations et de tablatures, son recueil didactique Libro de tiendos y discursos de musica (dont nous écoutons un extrait) à été publié en 1626. Il s’agit d’une véritable somme pour l’apprentissage de l’orgue, menant le lecteur à une connaissance progressive des possibilités de son art, en partie fondée sur le contraste entre les registres graves et aigus. García Alarcón rend avantageusement compte d’une certaine fantaisie d’écriture.

Avec la Pavana dolorosa donnée avec beaucoup de sensibilité par Andrea De Carlo, notre écoute gagne les brumes flamandes, comme le compositeur italien Nicolas Kempis qui exerça à Bruxelles dans la première moitié du XVIIe siècle. On reconnaît dans son écriture l’influence vénitienne faisant un pas vers la musique allemande. Si la fantaisie du sud est encore présente, l’ordre commence à poindre. Cette pièce amène assez naturellement la Sonate BWV 1028 donnée en fin de programme. Mais avant, les musiciens font entendre quelques pièces de Louis Couperin, assez ternes, pour tout dire, et de Marin Marais avec plus de bonheur, même si certaines attaques du gambiste dans l’aigu sont plutôt maladroites. Après un choral transcrit des Notenbüchlein für Anna Magdalena Bach, si le premier mouvement de la Sonate de Bach s’avère fragile, les suivants affirment un goût et une technique plus sûrs. Avec une réelle complicité, Andrea De Carlo et Leonardo García Alarcón ont offert un fort beau moment de musique.

BB