Chroniques

par david verdier

Andreas Staier, clavecin Jean-Henry Hemsch de 1761
Johann Sebastian Bach | Goldberg Variationen BWV 988

Cité de la musique, Paris
- 12 mars 2014
le claviériste Andreas Staier joue Bach à la Cité de la musique (Paris)
© éric manas

À l'occasion de l'intégralité de l'œuvre pour clavier de Bach, organisée par Olivier Beaumont, le Musée de la musique a mis à la disposition des clavecinistes plusieurs instruments d'époque, dont le superbe Jean-Henry Hemsch daté de 1761. Contrairement au wohltemperierte Klavier, l'emploi des deux claviers ne correspond pas, dans les Goldberg Variationen, à la nécessité de moduler pour rendre lisible une sorte de démonstration musicale. L'intérêt ici est plutôt à chercher du côté de la subtilité des timbres et de la résonance naturelle. L'attention n'est, pour une fois, pas détournée par les habituels décors peints sur l'intérieur du couvercle. On pourra supposer que le gris mastic qui jure avec le luxe de décorations (invisibles depuis la salle) de la table d'harmonie soit la couche de préparation pour un tableau jamais réalisé. Libre à l'auditeur d'imaginer sur ce fond neutre les géométries colorées d'une œuvre qui tient son titre d'une histoire approximative et à dormir debout.

Les (heureux) propriétaires de l'enregistrement des Variations Goldberg par Andreas Staier (Harmonia Mundi) auront un peu de mal à reconnaître l'œuvre, tant la sonorité de ce soir est éloignée de la luxueuse copie moderne d'après le Haas de 1734. Ici, point de brillance en cinémascope ou de réverbération de studio ; le résultat est rugueux et au corps à corps avec la réalité qu'on étreint. Juste après l'aria, avant de commencer l'ascension vers les sommets, Staier se retrousse les manches, comme pour signifier qu'il va falloir agir et se battre…

Il n'est pas certain que le comte Keyserlingk aurait trouvé facilement le sommeil après tant de surprenants feux d'artifices où quelques étincelles égratignent les cordes (variations 7 et 21). Là où Leonhardt est droit et posé, Staier n'hésite pas à donner des déplacements du corps pour imprimer à l'instrument des brusques inflexions, comme s'il réagissait au caractère volontaire et si peu esthétisant de l'interprète.

C'est souvent dur et sans compromission (var. 13, 23 ou 26) – à prendre ou à laisser. Il restitue une belle palette d'émotions, de la réflexivité à la méditation, de la virtuosité insolente aux saltarelli sereins de joyeuses gigues (var. 7 et 21) ou courantes (var. 5, 8, 14, 17, 20 et 23). Les croisements de mains et vélocité digitale accrochent parfois, mais c'est le prix à payer pour le suivre dans cette succession d'intenses et poétiques ornementations (var. 13) ou la mélancolie délétère (var. 25). L'emploi du jeu de luth mêlé au jeu de 8' produit certaines sonorités très étranges, proches du shamisen japonais. Le jeu gagne en cohérence et en intensité dans la seconde partie de l'ouvrage. Rien de tel alors que ces figures rythmiques qui prolifèrent en mouvements de sicilienne (var. 3), sarabande (var. 13, 25 et 26) ou gavotte (var. 18).

Pas de vraie dialectique sans humour. Cédant aux rappels, d'Andreas Staier propose en guise de bis un brouillon en forme de variation de huit notes extraite du premier des quatorze canons. La répétition obsédante et simplissime met les rieurs de son côté et emporte définitivement l'enthousiasme.

DV