Chroniques

par hervé könig

Anna Bolena | Anne Boleyn
opéra de Gaetano Donizetti

Longborough Festival Opera
- 29 juin 2019
Jenny Miller met en scène Anna Bolena au Longborough Festival Opera
© matthew williams ellis

L’été est vite arrivé, et avec lui une nouvelle tournée des festival lyriques britanniques, qui commence par le Longborough Festival Opera où s’installe une production inédite du premier épisode de la Trilogie Tudor conçue par Donizetti entre 1830 et 1837. Il faut dire qu’Anna Bolena fait partie des ouvrages peu joués sur le sol anglais, sans qu’on parvienne à comprendre pourquoi. L’histoire national serait-elle encore tabou de ce côté de la Manche ? Pas du tout, si ce n’est que le parcours du peu recommandable Henry VIII ne fait pas vraiment partie de ces faits glorieux qu’on aime à s’entendre répéter.

En misant essentiellement sur des masques pour les choristes – le poème The mask de Yeats nous est distribué à l’entrée de la salle –, la promptitude à croiser les lames, un trône monumental dans un décor de fer forgé, qui peut faire penser aux plafonds du château de Windsor, et la sobriété de costumes intemporels, Jenny Miller, avec la complicité de Nate Gibson pour la scénographie et d’Ace McCarron pour la lumière, signe une mise en scène qui s’appuie avant tout sur le jeu. La construction de chaque personnage est évidente dans un spectacle dynamique. Bien que le public connaisse parfaitement l’issu de l’intrigue, la production maintient une tension continue, dans ce climat vraiment sinistre. Une scène de chasse est ingénieusement intégrée, avec ses simulacres, en parallèle de la situation qui piège le rôle-titre.

La distribution du jour fait bon effet. À commencer par Linda Richardson, titulaire du rôle d’Anna il y a six ans à Cardiff (Welsh National Opera). La vigueur de son colorature convainc immédiatement. Loin de s’en tenir à la prouesse technique, le soprano s’engage dans une incarnation brûlante de passion, d’angoisse et de terreur. Elle génère beaucoup d’émotion. Applaudi en Macduff à Buxton [lire notre chronique de Macbet], le ténor coréen Jung Soo Yun offre un Percy agile et sonore, doté d’un timbre éblouissant qui s’est encore enrichi ces deux dernières années. La précision infaillible de l’intonation n’est pas le moindre de ses atouts. Le rôle de Giovanna est également bien tenu : moins impressionnante, Caryl Hughes livre une prestation élégante et habitée. Saluons également le chant efficace de Carolyn Dobbin en Smeton, la composition par Alex Haigh du courtisan Hervey, et enfin Matthew Buswell, jeune baryton-basse entendu à Lyon [lire notre chronique d’Il ritorno d’Ulisse in patria], très stable en Rochefort doux.

Une grande basse domine tout le plateau. Aussi bon comédien qu’il est excellent chanteur, Lukas Jakobski impose Enrico tel un géant terrible, froidement déterminé, brutal et tyrannique à souhait. Avec un organe puissant et malléable, il envahit la salle d’une couleur tendre comme un danger caché, puis déploie toute la plénitude de la voix, immense. On a hâte de retrouver cet artiste extraordinaire [lire nos chroniques de Manon Lescaut et de Peter Grimes] !

Les détracteurs du bel canto continuent de croire qu’il n’y aurait rien de plus simple pour un chef que de diriger ce répertoire. Au contraire, son exigence est extrême. Il s’agit de respirer avec les voix sans les attendre, de les stimuler sans les couvrir, de brosser rythmiquement les tensions tragiques, tout en ménageant un cantabile insaisissable dans la fosse. Jeremy Silver sait équilibrer l’orchestre et le plateau, c’est indéniable. Il est également très respectueux du phrasé de chacun, ce qui n’est pas négligeable. Une autre de ses qualités est d’avoir travaillé en détail les traits et la couleur. Il manque pourtant à cette représentation un peu de feu, une once de passion, un traitement moins systématique des tempi. Bref, il manque l’inventivité et l’audace. Ne nous en plaignons pas trop fort, cette lecture reste honnête.

HK