Chroniques

par irma foletti

Anna Bolena | Anne Boleyn
opéra de Gaetano Donizetti

Grand Théâtre, Genève
- 22 octobre 2021

Aviel Cahn, directeur du Grand Théâtre de Genève, vient d’être prolongé dans ses fonctions jusqu’à 2029, un horizon qui lui permet d’envisager une programmation à long terme. Déjà retenue à l’affiche genevoise pluriannuelle, la Trilogie Tudor de Donizetti commence avec Anna Bolena et se poursuivra lors des prochaines saisons avec Maria Stuarda puis Roberto Devereux, la série étant reprise ultérieurement. Le projet est confié à la même équipe artistique, Mariame Clément pour la mise en scène [lire nos chroniques de Rigoletto, Platée, La bohème, Hänsel und Gretel, Castor et Pollux, Les pigeons d’argile, Poliuto, Armida, Il ritorno d'Ulisse in patria, La Calisto et Don Quichotte], associée à Julia Hansen en charge de la scénographie et des costumes, tandis que la direction musicale est assurée par Stefano Montanari.

On a connu des productions bien plus décalées, voire dérangeantes, que cette Anna Bolena, somme toute plutôt classique et sobre. Le dispositif scénique est constitué d’une vaste salle aux murs ajourés dont la rotation permet de varier les angles de vue et l’atmosphère des tableaux. Le rideau se lève sur la souveraine posant devant un peintre, la cour immobile autour d’elle, ce tableau tombant plus tard dans les mains de Smeton, amoureux de Bolena. On peut simplement formuler des réserves quant à la scène dans la chambre de la reine où ce jeune homme, secrètement allongé dans le lit avec le portrait d’Anna à ses côtés sur l’oreiller, se masturbe ostensiblement, au rythme de la musique, sous les draps. Les deux oiseaux géants qui apparaissent de chaque côté du plateau en début de représentation sont un peu énigmatiques ; plus tard, le grand cerf gisant à terre est sans doute plus en situation, vraisemblablement abattu par les chasseurs. Une petite fille – Elizabeth, la fille de l’héroïne – et sa version plus âgée de vieille reine au visage blanc blafard, se promènent tout au long de la représentation. Elizabeth sera d’ailleurs le fil conducteur de la trilogie. Les costumes de Julia Hansen sont d’époque pour leur majorité, avec tout de même une tenue actuelle en chemise et pantalons pour Rochefort et Percy, ce dernier arborant tatouages et bracelets de force.

Dans le rôle-titre, Elsa Dreisig ne convainc que partiellement [lire nos chroniques de Carmen, Violetter Schnee, Manon et Don Giovanni]. La voix du soprano est ample, le timbre séduisant et homogène sur toute la tessiture, le souffle long et les aigus faciles. Les passages d’agilité sont également mieux maîtrisés que lors des Puritani (Bellini) à Paris en 2019, mais l’interprétation reste un peu en-deçà d’une Bolena royale prise de passion, de colère, de fureur. Piangete voi – Al dolce guidami, la longue scène finale, lui convient idéalement, en revanche ; la ligne musicale est douce et émouvante, puis la cabalette Coppia iniqua prise avec abattage. En Giovanna Seymour, Stéphanie d’Oustrac n’est pas vraiment une habituée de ce répertoire... c’est d’ailleurs la première fois qu’elle aborde Donizetti ! Certaines notes émises en sons fixes peuvent témoigner de cette grande première, mais l’interprète fait preuve de beaucoup de tempérament et compose un personnage de chair et de sang.

Avec Alex Esposito en Enrico VIII – il l’incarnait à Rome il y a deux ans [lire notre chronique du 26 février 2019] – on se retrouve en terres belcantistes bien connues, le baryton-basse fréquentant très régulièrement les emplois donizettiens et rossiniens [lire nos chroniques de Mosè in Egitto, Die Zauberflöte, Roméo et Juliette, Don Giovanni à Londres et à Munich, Semiramide à Munich et à Venise, enfin de L’elisir d’amore]. Son grain de voix est véritablement royal et autoritaire, la souplesse ne faisant jamais défaut pour les parties plus fleuries. La haute virtuosité est aussi l’une des premières qualités du ténor Edgardo Rocha [lire nos chroniques des Pêcheurs de perles, de La gazzetta, Agnese et La Cenerentola]. En très belle forme ce soir, il soutient les cadences les plus rapides de Riccardo Percy et monte avec vaillance vers les suraigus les plus fous (contre-mi bémol). Son grand air de l’Acte II, Vivi tu, est un somptueux morceau de choix, servi avec de petites variations dans la reprise de la cabalette. On reste au chapitre bel canto avec Lena Belkina en Smeton, mezzo très agile, de couleur sombre et doté de sonorités masculines qui correspondent bien à ce rôle travesti [lire nos chroniques d’Eugène Onéguine, Il barbiere di Siviglia, La donna del lago, La pucelle d’Orléans et Guerre et paix]. Une mention également au timbre noble et riche du baryton-basse Michael Mofidian (Lord Rochefort), aux côtés du ténor Julien Henric (Sir Hervey).

À l’image de la réalisation visuelle, la direction musicale de Stefano Montanari paraît s’être assagie si l’on garde en mémoire certaines de ses prestations à Lyon, avec des partitions de Mozart bousculées, voire malmenées. À Genève, on entend une musique vivante, expressive, colorée. Beaucoup de soin est apporté aux détails, ainsi qu’à des contrastes marqués dans les tempi et les nuances, mais sans agressivité. Une originalité est cependant à signaler : on est surpris d’entendre régulièrement des sonorités de pianoforte et de clavecin, pendant les récitatifs mais aussi dans quelques passages de transition. Ceci est bien confirmé, un pianoforte est installé en fosse, doté de deux registres possibles, clavecin ou pianoforte, donnant à ces pages un caractère inhabituellement mozartien ou rossinien. En tout cas, l’Orchestre de la Suisse Romande fait un sans faute, tout comme le Chœur du Grand Théâtre, formidablement préparé par Alan Woodbridge.

IF