Chroniques

par david verdier

Anne Gastinel et le Quatuor Diotima
création française de Farrago de Gérard Pesson

Théâtre des Bouffes du nord, Paris
- 25 novembre 2013

Agenda chargé pour le Quatuor Diotima. Après São Paulo, Berlin, Edimbourg en passant par Huddersfield, les quatre musiciens posent leurs valises aux Bouffes du nord. Le programme présente trois univers fondamentalement différents et complémentaires – à l'image d'un quatuor s'appropriant l'effacement des frontières comme marque stylistique.

Avec l'opus 3 d'Alban Berg, les Diotima choisissent d'interpréter une œuvre qui prolongera le projet discographique en cours chez Naïve autour de la Seconde École de Vienne. Dernière partition composée sous la supervision d'Arnold Schönberg, elle se caractérise par une austérité et un désenchantement qui annonce par fragments une personnalité bientôt en pleine mutation. Le Langsam initial est construit selon une forme sonate suivie d'un vaste développement. L'alternance des espaces-temps tantôt en expansion, tantôt plus resserrée, se combine dans des alliages ambigus que rien ne vient dissiper. Le vibrato d’Yun-Peng Zhao dessine une ligne assez dure qui ne se libère qu'au moment de la coda. L'âpreté du deuxième mouvement, Maßig modéré, donne à la forme rondo un caractère intransigeant, plus proche du modèle sériel que de l'onirisme vénéneux de la Suite lyrique.

Vingt ans après Respirez, ne respirez plus, Gérard Pesson revient à l'écriture pour quatuor à cordes avec Farrago, sa troisième page du genre. Derrière le trompe-l’œil furieusement dilettante, on retrouve sans surprise un métier aguerri et la maîtrise absolue d'une palette d'effets. Les modes de jeu alternent fragmentations et affects dans une stratification fragile d'impacts sensitifs sollicitant l'écoute avec des invites très explicites… « Je veux être poète et je travaille à me rendre voyant » écrivait Rimbaud à Georges Izambard et Paul Demeny. Impossible de ne pas penser à ce dérèglement de tous les sens auquel fait référence la musique de Pesson (au point de confondre les acceptions et d'inviter à littéralement inverser le sonore pour n'en retenir que le stimulus formel). Cette impression de pose continue laisserait facilement penser que la composition se réduit à un art du ludique et de la légèreté.

Schubert fait partie des incursions récurrentes du Quatuor Diotima dans ce qu'il est convenu d'appeler le « répertoire ». Sans avoir encore entendu le récent enregistrement du Quintette en ut majeur D.956 (Naïve), on était tout de même curieux d'écouter le résultat de la collaboration avec Anne Gastinel. Dès les premières notes, le souvenir des quatuors d’Onslow remonte à la surface [lire notre chronique du 27 février 2010], comme la confirmation d'une adéquation avec cet univers pictural et littéraire. On pourra être déçu par la tension parasite qui surgit çà et là dans l'Allegro initial, mais la plénitude suspendue de l'Adagio est, elle, proprement stupéfiante. La lumière diffuse et les alliages de timbres fluctuent au gré des interventions du Goffriller d'Anne Gastinel, dont à de nombreuses reprises la sonorité de grand orgue noie l'équilibre général. Avec l'Allegretto furibond, la concentration finit par l'emporter et les lignes se resserrent fort heureusement. Sans qu’elle soit pleinement convaincante, on ne pourra donc rester insensible à cette proposition hors des sentiers battus.

DV