Chroniques

par vincent guillemin

Antheil, Bernstein, Gershwin et Ives
Ingo Metzmacher dirige l’Orchestre de Paris

Salle Pleyel, Paris
- 6 mars 2014
portrait photographique du compositeur George Antheil par Man Ray
© man ray | george antheil

Entièrement consacré à la musique américaine, le programme d’Ingo Metzmacher et de l’Orchestre de Paris, donné les 5 et 6 mars, alterne musiques populaires (Gershwin, Bernstein) et œuvres plus confidentielles (Ives, Antheil). Pour commencer, la phalange lutécienne apporte une couleur très française à l’Ouverture cubaine (1932) qui permit à George Gershwin de développer son approche de la composition symphonique tout en s’inspirant fortement du jazz et du folklore nord-américain. Le chef s’y avère particulièrement léger et laisse respirer les musiciens presque autant que James Gaffigan trois semaines plus tôt, même si cette fois le rendu fait plus penser aux pièces joyeuses de Poulenc ou Satie qu’à Korngold ou Kurt Weill.

Cet agréable prélude ne prépare pas le public de la Salle Pleyel au monumental OVNI musical que représente la Symphonie n°4 de Charles Ives, écrite par cet agent d’assurance qui ne l’entendra jamais au concert, puisqu’elle ne sera créée qu’en 1965 et à partir de copies, onze ans après la mort du compositeur, par Leopold Stokowski à Carnegie Hall. Depuis, une nouvelle mouture de la partition fut établie par Thomas M. Brodhead. Achevée en 2011 et jouée pour la première fois à Lucerne en 2012 par Péter Eötvös, elle fut ensuite reprise au Concertgebouw par le même chef [lire notre chronique du 14 septembre 2012] puis par Metzmacher lui-même dans un menu exactement identique à celui de ce soir, en septembre 2012 avec les Berliner Philharmoniker.

Agencement de multiples influences, sons et textes, la partition pour chœur, piano, orchestre symphonique et petit orchestre (dans une autre partie de la salle, pour créer une spatialisation) mélange citations, références littéraires, religieuses et hymnes patriotiques. Comme le dernier mouvement de la Neuvième de Beethoven, la Quatrième du New-yorkais contient des passages où l’arrangement polyphonique atteint des niveaux de saturation élevé que cette salle n’encaisse pas. Il devient alors impossible de distinguer quelque chose dans cet amas sonore brouillon, là où la Philharmonie de Berlin supportait largement le choc et laissait entendre une direction souvent trop maîtrisée, sans doute plus orienté vers une lecture issue des apports de l’école de Darmstadt, bien que la composition atonale d’Ives soit parfaitement libre de ces contraintes.

Loin de démériter, l’Orchestre de Paris prouve sa capacité à s’adapter à toute musique et solutionne par de belles individualités et une grande souplesse les problèmes de mises en place et de rythmes complexes engendrés par la partition, même s’il perd à certains endroits son Chœur dont la précision manque le caractère religieux. Là où le célèbre hautboïste Albrecht Mayer faisait office de second chef à Berlin en doublant avec une grande précision la battue, c’est d’abord Lionel Bord quittant son basson qui s’attèle à ce rôle à Paris, avant que lui vienne en aide le jeune Julien Masmondet, assistant de Paavo Järvi – il dirigeait il y a peu à Rouen une version pour enfant de Der fliegende Höllander. Sa proximité géographique avec le chef semble cependant dérouter les cuivres qui doivent alors observer une baguette en oubliant l’autre à moins d’un mètre de distance. Pourtant, le résultat reste globalement satisfaisant (en faisant abstraction des passages rendus inaudibles par l’acoustique).

En seconde partie, la Jazz Symphony de George Antheil (pour orchestre plus réduit et piano soliste) permet de retrouver un niveau sonore et un ensemble idéals dans ce lieu. Elle met en avant le jeune pianiste Romain Descharmes, si à l’aise dans le jazz qu’avec deux percussionnistes il « bissera » un ragtime fort exotique et très applaudi. De Leonard Bernstein, les Danses Symphoniques de « West Side Story » concluent la soirée avec panache… même si le Mambo aura tellement été marqué ses dernières années par Gustavo Dudamel et son Orquesta Sinfónica Simón Bolívar qu’on se prendrait à rêver de musiciens se levant et tournant sur eux-mêmes après avoir crié – soyons sérieux : nous sommes à Paris, tout de même !

VG