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Chroniques
Antigona | Antigone
opéra de Tommaso Traetta
La musique de Tommaso Traetta est aujourd’hui quasiment oubliée. Le compositeur italien, né près de Bari en 1727, connut cependant une carrière prestigieuse. Élève de Durante et de Porpora à Naples, il deviendrait en 1758 maître de chapelle à la cour du Duc de Parme, poste qu’il occupe pendant sept ans, et dans le cadre duquel il tente une réforme de l’opéra, en revisitant les livrets des tragédies lyriques françaises. Si son Farnace, écrit à vingt-quatre ans, reste encore respectueux des conventions du genre, Ippolito ed Aricia (1759) – que Montpellier présentait il y a peu – illustre déjà les préoccupations formelles et structurelles du musicien. En 1761, il présente Armida à Vienne, ouvrage encore plus engagé dans ce projet. Deux ans plus tard, c’est encore Vienne qui joue son Ifigenia in Tauride avec succès. Après avoir été directeur du Conservatorio dell’Ospedaletto de Venise, Traetta fréquente la cour de Catherine II, de 1768 à 1775. C’est la tsarine qui lui commande Antigona, créé à Saint-Pétersbourg en novembre 1772. Pour honorer la souveraine, librettiste et compositeur ménageront un aimable happy end à la tragédie grecque : Créon, frappé de stupeur devant sa propre rigueur, y prend conscience que gloire et cruauté ne doivent pas plus longtemps se confondre et pardonne à son fils comme à la rebelle.
Christophe Rousset livre cette œuvre, novatrice à plus d’un titre, dans une lecture plutôt tonique, accusant toutefois le défaut de cette qualité, à savoir un marcato omniprésent qui masque assez systématiquement la teneur mélodique de la partition. On apprécia une nouvelle fois un art de la nuance indéniable, se gardant sagement de s’engager dans des contrastes trop violents, et une véritable intelligence dramatique. Les Talens Lyriques offrent des soli élégamment réalisés.
C’est dans un univers d’abstraction graphique qu’évolue la production très formelle de l’Opéra national de Montpellier. Éric Vigner, à qui la mise en scène fut confiée, fait une nouvelle fois appel à M/M (Michaël Amzalag et Mathias Augustyniak) pour le décor et à Paul Quenson pour les costumes. Le public du Théâtre du Châtelet réserve un accueil extrêmement vivant à leur travail, puisqu’à l’apparition sur scène des maîtres d’œuvre lors des saluts, il se déchaîne copieusement en sifflet, huées et quolibets qui ne nécessitent aucun surtitre.
Le plateau vocal s’avère assez inégal. Le bébé de Madame Bayo ayant souhaité découvrir les joies de ce monde en avant-première, c’est Raffaella Milanesi qui chante cette fois le rôle titre. Le timbre est charmant, la ligne de chant raffinée, la vocalise semble facile, mais toutes ces bonnes choses – qu’on ne goûte que lorsque le soprano émet depuis l’avant-scène – demeurent excessivement confidentielles. Marina Comparato donne une Ismène plus convaincante, et Laura Polverelli campe un Emone magnifiquement projeté, bénéficiant d’une diction exemplaire et d’un timbre attachant. Le jeune ténor américain John McVeigh brille d’un timbre clair, connaissant néanmoins quelques soucis d’aigus dans les airs, alors que ses récitatifs se montrent toujours mordants et efficaces. Enfin, Kobie van Rensburg se révèle un immense Creonte : si les graves sont parfois disgracieusement sur-nasalisés, la voix est généreusement présente, le chant toujours nuancé et expressif ; il n’est qu’à citer sa grande lamentation du troisième acte, sans doute le seul moment d’émotion de cette soirée. En avance sur son temps, cette Antigona convoque régulièrement un chœur fort intéressant : on félicitera Les Eléments et Joël Suhubiette qui savent rendre toute sa mesure à cet aspect important.
BB