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Chroniques
Anton von Webern par Pierre Boulez
Christiane Oelze et l’Ensemble Intercontemporain
Journée médiane d’un festival de cinq jours, ce vendredi s’affirme peut-être comme la plus boulézienne de la manifestation stéphanoise. D’abord par la présence de Pierre Boulez lui-même à l’émission que lui consacrait France Musique ce matin, en direct du studio improvisé dans le bar de l’Hôtel Mercure, puis par le brillant atelier autour du Marteau sans maître que Daniel Kawka animait à la faculté de musicologie de l’Université de Saint-Étienne, dans l’après midi, avec le concours de musiciens de l’Orchestre National de Lyon et de l’Ensemble Intercontemporain, enfin par le concert dudit EIC, entièrement dédié à la musique de Webern, que Boulez dirige ce soir à la Comédie, une salle déjà pratiquée par le maître qui y donnait un concert contemporain en 1968.
Programmer un certain nombre de soirées musicales dans le cadre d’un festival Boulez est une chose ; les décliner selon une véritable investigation, comme c’est ici le cas, est encore plus intéressant. Enfin, engager en profondeur une approche précise du travail du compositeur est une préparation essentielle. En cela, Daniel Kawka rend également hommage à Boulez pédagogue qui lui-même anima de nombreux ateliers et conférences tout au long de sa carrière, avec la maestria qu’on lui connaît. Explorant minutieusement le Marteau sans maître avec la complicité de Christophe Desjardins, Marie-Thérèse Ghirardi, Thierry Huteau, Benoît Cambreling, Benoît Le Touze et Claudio Bettinelli, l’instigateur de cette biennale mène pas à pas les étudiants dans le mystère de la partition qui, pour autant, ne livre pas ses secrets. Détaillée et méthodique, cette présentation de deux bonnes heures reste une invitation au voyage – celui d’une écoute éclairée – puisqu’elle s’ouvre sur l’exécution de l’œuvre dans sa totalité, interprétée par le mezzo-soprano Marie Kobayashi qui la défend avec un fort bel engagement.
21 heures. Sous la direction de Pierre Boulez, l’Ensemble Intercontemporain honore Anton von Webern. Ce n’est pas innocent : dans les années cinquante, Boulez est à peu près le seul à défendre cette musique dont on peut dire qu’il est alors l’instrument de réhabilitation et de découverte après guerre, une musique qui influencera grandement son œuvre en devenir. Outre les concerts du Domaine Musical, la parution d’une première intégrale discographique Webern par le chef fut un évènement d’importance capitale (rééditée chez Sony). Radicale et aride par une sorte de nécessité historique, à cette somme succèderaient de nouveaux enregistrements (dans les années quatre-vingt-dix, chez Deutsche Grammophon), dédramatisés mais non pas dépassionnés. Aussi, la sonorité de ce soir est-elle plutôt ronde, parfois même sagement moelleuse, rendant compte aussi bien de la modernité de Webern que de l’héritage romantique qui fut le sien.
En s’ouvrant sur le Quintette pour piano et cordes composé en 1907 dans une couleur encore généreusement brahmsienne, le programme s’affranchit peu à peu du passé. Christiane Oelze (soprano) rend évidents les Trois textes populaires Op.17, grâce à une voix souple en constant rapport avec le sens de la phrase, tant musicale que littéraire. Son interprétation des Cinq canons latins Op.16 est volontairement effacée, ou mieux : neutre. On la retrouve en fin de programme dans les Opus 18 et15 où elle ose une expressivité plus affirmée, bien que toujours salutairement discrète, avec beaucoup de naturel.
Alternant chant et musique purement instrumentale, Boulez dirige le Concerto Op.24 avec une relative sècheresse, donne la Symphonie Op.21 dans une articulation extrêmement délicate, et le Quatuor Op.22 qu’il prend soin de diriger. Seconde soprano associée à ce concert, la canadienne Valdine Anderson donne l’Opus 14 sur les poèmes de Trakl, les deux Lieder Op.8 sur les poèmes de Rilke et les quatre chants de l’Opus 13 dans un souci trop volontaire d’expressivité. En quelques années, cette voix a changé : si elle s’est avantageusement élargie, elle paraît aujourd’hui moins assurée de la place de son émission. Ayant trop souvent recours à une nasalisation artificielle et laborieuse, la chanteuse présente un art si obsédé par sa technique qu’on n’entend plus que cela, au détriment des œuvres. Sans doute ce travers doit-il être considéré comme une étape dans l’évolution de son chant qui, nous l’espérons, retrouvera bientôt son équilibre.
C’est avec les Cinq pièces Op.10 que l’EIC et Pierre Boulez prennent congé, dans un soin jaloux des timbres, particulièrement sur le mystérieux mouvement central (Sehr Langsam und äußert ruhig).
BB