Chroniques

par bertrand bolognesi

Arabella
comédie lyrique de Richard Strauss

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 14 juin 2012
Renée Fleming dans Arabella (Strauss) à l'Opéra Bastille (photo Ian Patrick)
© opéra national de paris | ian patrick

Arabella n’est certes pas du meilleur Strauss, on le sait. Outre qu’il était naïf de croire possible de réitérer le miracle de Rosenkavalier, l’incongruité poussée à l’extrême de l’intrigue accuse une certaine vulgarité de ton qui passe mal, avouons-le. C’est qu’à traiter sur le mode comique la sordide histoire d’une famille qui cache sous des atours masculins la fille cadette dont l’entretien coûterait trop cher en l’état, tout en tâchant de rembourser ses dettes en mariant l’aînée à une fortune, on convoque immanquablement des ressorts grossiers. Ces travers font d’autant plus mauvaise figure que librettiste et compositeur n’hésitèrent pas à concocter de longs moments d’un sentimentalisme sottement assimilé à de la poésie, bien conforme à l’idée crument réactionnaire de la femme à l’avènement du IIIe Reich (l’œuvre fut créée à l’été 1933).

De fait, la nouvelle production signée Marco Arturo Marelli ne déroge pas à celles que l’on put voir (partant que l’ouvrage demeure relativement rare, cela dit) en ce qu’elle ne fonctionne absolument pas, théâtralement parlant. Mais aussi, que faire d’Arabella ? Comme Peter Mussbach il y a quelques années [lire notre chronique du 31 mai 2005], Marelli use d’un décor unique qui, pour permettre l’appréciable économie de fastidieux changements de plateau, nécessite un artifice pour évoquer le temps comme la distance. Si le premier rusait de même avec un immense escalier tournoyant, le metteur en scène de ce spectacle fait tourner mobilier, cloisons, moulures et lumières en une ronde de prime abord bien vue mais qui révèle trop tôt ses limites. Ceci étant annoncé, la réalisation s’affiche plutôt « jolie », en tout cas, éclairée par Friedrich Eggert et mise en costumes par Dagmar Niefind.

La soirée n’est pas mauvaise : elle est falote, sans plus.
Et l’inégalité de la distribution ne vient guère l’assaisonner. D’une quasi vingtaine de personnages, retenons ceux dont la prestation n’a pas déçu. Ainsi de la Fiakermilli d’Iride Martinez, pétillante à souhait, vertigineusement habile dans la vocalité « de machine » que Strauss lui dédia. Également de Doris Soffel en comtesse Adelaide, toujours avantageusement présente vocalement. Encore faut-il parler de la très musicale Zdenka de Julia Kleiter, qui plus est fort attachante. Côté messieurs, si Kurt Rydl s’en remet efficacement aux ficelles du métier (le rôle de Theodor ne lui en demande pas plus, remarquez),on apprécie le Lamoral positivement facile du jeune Thomas Dear, le Matteo bien en voix, quoique parfois heurté, de Joseph Kaiser et, surtout, l’excellent Michael Volle qui compose un Mandryka fort impacté et haut en couleur. Quant à l’héroïne à laquelle le dernier opéra d’Hofmannsthal emprunte son titre ? Renée Fleming s’avère extrêmement prudente, économisant son organe deux actes durant pour mieux magnifier sa partie dans le dernier. Cette stratégie ne prend pas : son Arabella n’est pas toujours audible, ce que les grâces ultimes de son incarnation ne font pas oublier.

Bref, la soirée n’est pas bonne : elle demeure pâle. Les presque diaphanes interventions du Chœur maison (dirigé par Patrick Marie Aubert) ne déméritent pas, et la lecture précise et soignée de Philippe Jordan, plus emportée qu’on l’attendait, fait sans conteste tout le sel de cette Arabella qu’il traverse de tendresse, de grotesque, de sensualité, de passion et même de noirceur – il a raison : cette histoire est affreuse ! Imaginez un instant qu’un metteur en scène s’attelle à travailler en profondeur situations et protagonistes en omettant ce terme de « comédie lyrique » avec lequel Strauss la désigne… Les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, invités en grande assemblée par une écriture opulente, offre une belle fosse à la représentation.

BB