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Chroniques
Arabella
opéra de Richard Strauss
Opéra de transition, Arabella est le dernier échange entre Richard Strauss et Hugo von Hofmannsthal, mort le 15 juillet 1929 alors que seul le premier des trois actes se présentait dans sa forme définitive. Placé entre les ouvrages plus célèbres que sont Elektra, Der Rosenkavalier ou Die Frau ohne Schatten, et ceux de la dernière période – Intermezzo, Capriccio [lire nos chroniques du 16 novembre 2014, du 7 mai 2013 et du 8 septembre 2012], Daphné [lire nos chroniques du 15 novembre et du 25 juin 2014] –, Arabella comprend plus de rondeur et moins de violence que ses ainés, mais toujours une véritable inventivité mélodique (surtout dans l’acte médian) [lire nos chroniques du 14 juin 2012 et du 31 mai 2005].
En provenance de Francfort (2009), la production de Christof Loy tient sur un décor d’Herbert Murauer, grand cadre blanc dont le fond (blanc lui aussi) est ouvert par des panneaux coulissants qui font paraître et disparaître les pièces de maisons (Acte I), un grand escalier (II), puis un canapé sur lequel s’affalent les invités avinés. Peu convaincant dans Die Frau ohne Schatten à Salzbourg [lire notre chronique du 1er août 2011], où il n’avait su donner un nouvel éclairage malgré sa transposition dans un cadre bourgeois, le metteur en scène allemand récidive par un angle plus classique et tout aussi théâtral, dans lequel il ne propose aucune lecture élargie. Les personnages sont ce qu’ils sont, ni comiques ni calculateurs, et finalement pas tout à fait crédibles, malgré les qualités d’acteurs des interprètes présents au Liceu. La seule scène probante reste celle du trio du troisième acte où, prostrés contre le mur d’un plateau nu, les protagonistes affichent une fragilité magnifiquement mise en valeur par les lumières de Reinhard Traub. C’est à ce dernier qu’on doit également le beau travail d’illumination de l’espace lorsque sont levés les draps des fenêtres à la faveur de la lumière du jour (I).
Bien qu’annoncée malade, Anne Schwanewilms reste une Arabella d’une belle et noble humilité, voix voilée dans le médium (Acte I) et plus ouverte ensuite, malgré quelques aigus difficiles. Ofèlia Sala est une Zdenka à la tonalité légère et au timbre chamarré, bien peureuse lorsqu’entre en scène la scintillante Adelaide de Doris Soffel, assurément en grande forme. Après sa prestation zurichoise dans Die Soldaten [lire notre chronique du 4 octobre 2013], nous savions Susanne Elmark excellente actrice [lire notre entretien] ; elle l’est encore en Fiakermilli, soubrette « déjantée » aux vocalises contrôlées auxquelles il ne manque qu’une certaine liberté. Michael Volle est naturellement l’élément le plus performant du plateau, par sa voix claire, la projection et sa diction parfaites ; une pointe de génie en plus et une direction d’acteur plus impliquée aurait permis de réinventer le personnage de l’étranger Mandryka. Entendu récemment en Siegmund [lire notre chronique du 16 novembre 2013], Will Hartmann est un Matteo sûr, bien qu’au style plus anglais que Mandryka semble Croate. Dans les rôles secondaires, soulignons la présence scénique et vocale du Lamoral de Torben Jürgens, baryton impeccable que nous remarquions à Düsseldorf [lire notre chronique du 8 novembre 2013], tandis qu’on reste mitigé quant au Waldner d’Alfred Reiter, Ochs à Lyon [lire notre chronique du 12 avril 2012], ici trop faible en couleurs. Aigre et instable, l’Elemer de Thomas Piffka ne satisfait pas.
Les Cor i Orquestra Sinfónica del Gran Teatre del Liceu possèdent clairement les gènes pour jouer les plus grandes œuvres allemandes, comme le prouvèrent leurs Wagner [lire nos critiques des DVD Tristan und Isolde, Das Rheingold et Die Walküre, ainsi que nos chroniques du 12 mars 2011 et du 20 février 2010]. Les tons straussiens ne palissent pas devant ceux de leurs homologues d’outre-Rhin, ni les cordes fluides et animés, ni même les cors qui, malgré quelques anicroches, gardent une stabilité qu’on aimerait entendre toujours dans ce répertoire. Ralf Weikert conduit ces troupes avec précision et style, bien qu’il semble parfois plus accompagnateur que véritable acteur de l’ensemble. Non exempte d’imperfections, la soirée demeure charmante et procure son plaisir à la salle presque pleine du Gran Teatre del Liceu.
VG