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Chroniques
Ariadne auf Naxos | Ariane à Naxos
opéra de Richard Strauss
Tribut au XVIIe siècle français, à travers Molière et à Lully, Ariadne auf Naxos, de Richard Strauss et Hugo von Hofmannsthal, est idéalement ajusté aux dimensions et au délicieux écrin qu’est le Grand Théâtre de Bordeaux, conçu au XVIIIe siècle par Victor Louis et inauguré en 1780. L’acoustique peu réverbérante de ce magnifique théâtre à l’italienne au style classique est à la mesure de cet opéra mi buffa mi seria, et son directeur musical, Kwamé Ryan, en a pris l’exacte mesure – autant dans le prologue qui présente la genèse du spectacle à suivre que dans l’acte d’Ariadne contant la relative solitude d’Ariane abandonnée par Thésée sur l’île de Naxos d’où elle sera libérée par Bacchus –, dirigeant les deux versants de la partition avec l’allant et dans les tempi idoines, et avec un sens de la narration et des équilibres exceptionnel.
Écouter cet ouvrage-là dans ce cadre-là est un plaisir sans partage, surtout quelques semaines après avoir revu la production de Laurent Pelly dans le vaisseau beaucoup trop vaste de l’Opéra Bastille où les infinis détails infimes de la partition et la jouissance sonore qu’exalte Richard Strauss se font quasi inaudibles [lire notre chronique du 11 décembre 2010]. Le plaisir est d’autant plus grand que l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine s’impose dans la cour des grands dans cette partition d’une transparence et d’une fulgurance inouïes, sonnant fier, avec des timbres charnels et chatoyants.
Malgré une direction d’acteur assurément efficiente, Roy Rallo signe une production consternante du plus raffiné des opéras du compositeur bavarois qui, avec son incomparable librettiste éprouva tant de difficultés à trouver le juste équilibre de cette œuvre commencée en 1911, l’acte d’Ariane auf Naxos étant associé à la pièce de Molière, Le bourgeois gentilhomme adaptée en allemand par Hofmannsthal sous le titre Der Burger als Edelmann, et qui n’atteignit sa forme définitive qu’en 1916, les deux auteurs ajoutant alors un prologue à Ariane après que Strauss sous l’influence de son collaborateur eût donné son autonomie à la pièce, développant et ajoutant des numéros à la musique de scène avant d’en tirer une suite de concert.
La mise en scène ici présentée, qui emprunte abondamment à Pelly, mais en plus insipide et contraint, manque nettement d’inventivité et de personnalité – et ce n’est pas l’énorme tête de monstre orange mignonnet qui incite particulièrement à rire. La scénographie trash de Marshall Ginsberg situe l’action dans les années 1950, dans une dépendance peu ragoutante, dégradée et crasseuse de la propriété d’un mécène improbable tant il s’avère ruiné, tandis que les pauvres cantatrices sont affublées de robes d’un mauvais goût absolu dessinées par Doey Lüthi que pas même une bonne espagnole du Paris de ces années-là aurait osé porter.
Fort heureusement, la distribution se déploie dans l’excellence, avec l’émouvant Compositeur d’Elsa van den Heever, la lumineuse Zerbinette de Brenda Rae, la consistante Ariane d’Heidi Melton, l’homogène et joyeuse troupe de commedia dell'arte constituée par Thomas Dolié, François Piolino, Andreï Zemskov, Xin Wang, et les nymphes Melody Loulejian, Leslie Davis et Eve Christophe-Fontana. Le Bacchus d’Arnold Bezuyen est plus discutable, mais il convient néanmoins de le saluer car, malgré des défaillances dans l’aigu, souvent excessivement tendu, le ténor hollandais est constant dans la qualité du timbre et relativement héroïque dans ce rôle effroyablement difficile que Strauss a réservé à une voix qu’il abhorrait.
BS