Chroniques

par isabelle stibbe

Ariadne auf Naxos | Ariane à Naxos
opéra de Richard Strauss

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 11 décembre 2010
© julien benhamou | opéra national de paris

De même que les romanciers utilisent souvent dans leurs livres un personnage d’écrivain, sorte de double qui leur permet d’aborder leurs questionnements sur la création, de même Richard Strauss met-il en scène sa fascination de l’opéra dans plusieurs de ses œuvres. La question de la primauté du texte ou de la musique traverse Capriccio, les maîtres italiens sont pastichés au début du Chevalier à la rose. Ce procédé atteint son point culminant dans Ariane à Naxos qui non seulement met en abyme la répétition d’un opéra mais s’interroge sur le lien entre opera seria et opera buffa.

On connaît l’histoire mouvementée de l’œuvre, d’abord conçue comme un court opéra destiné à remplacer le ballet turc du Bourgeois gentilhomme de Molière avant de servir de prélude musical à la pièce de Molière. Cette version, créée en 1912 à Stuttgart, est aujourd’hui le plus souvent abandonnée au profit de la version révisée et représentée pour la première fois à Vienne en 1916 – sans plus aucun lien avec Le Bourgeois gentilhomme.

De ce parcours chaotique naît pourtant un chef-d’œuvre d’humour et de grâce. Le Prologue est pour Strauss l’occasion de brocarder un milieu qu’il connaît bien, du compositeur imbu de son statut de créateur à la prima donna vaniteuse, en passant par le mécène abusif qui, du moment qu’il paye, veut que l’art se plie à ses désirs. Voilà comment ce riche Viennois exige de faire représenter un opera seria en même temps qu’un opera buffa, quand bien même les deux œuvres n’ont rien à voir. Ce deuxième temps est l’acte d’Ariane, un acte quelque peu bousculé par les comédiens de la pantomime.

Pour donner à voir cette incongruité théâtrale, l’Opéra Bastille reprend la production à l’affiche depuis 2003 dans la mise en scène de Laurent Pelly. Elle est presque devenue un classique tant Natalie Dessay, interprète de Zerbinette à la création, a contribué à son succès dans sa perruque rouge électrique ou sa tenue improbable de vacancière à la plage. Pourtant, si la direction d’acteurs est toujours aussi efficace, les carcasses de béton de l’acte d’Ariane incitent peu à accéder aux sphères stratosphériques voulues par le propos même.

Il reste que la maîtrise et la fougue d’une Sophie Koch (le Compositeur) poussent plus sûrement à l’émotionque la scénographie un tantinet morose. D’une manière générale, il faut saluer la qualité de l’ensemble du plateau vocal qui offre une très convaincante Ricarda Merbeth (Ariane), wagnérienne à la voix opulente, trois nymphes de haute volée, la virevoltante Zerbinette de Jane Archibald, le Maître de musique de Martin Gantner, d’une grande justesse. Seule ombre à l’homogénéité du plateau, le rôle de Bacchus. On dit que Strauss n’aimait pas les ténors. Sauf à penser que Stefan Vinke aurait volontairement caricaturé son personnage, on peine à être conquis devant ce timbre désagréable, ce chant crié et monochrome.

En revanche toutes les louanges vont à Philippe Jordan. C’est toujours un plaisir de retrouver le chef qui excelle dans ce répertoire où sa direction sait être ample sans jamais tomber dans l’esbroufe. On apprécie son attention aux chanteurs qu’il veille constamment à ne pas couvrir, ainsi que la couleur chaude et riche de mille nuances qu’il donne à l’Orchestre de l’Opéra national de Paris. La fosse a bien de la chance – et nous aussi !

IS