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Chroniques
Arianna a Nasso | Ariane à Naxos
opéra de Richard Strauss
Double originalité de la quarante-sixième édition du festival, Ariadne auf Naxos de Richard Strauss est proposée dans sa première version (création à Stuttgart, 1912) et en italien, soit Arianna a Nasso dans une nouvelle version du livret confiée à Quirino Principe. La soirée commence par l’entrée des acteurs Sara Putignano (Dorimène), Marco Fragnelli (Dorante) par la cour du Palazzo Ducale de Martina Franca, rejoints sur scène par Monsieur Jourdain (Marco Bellocchio), en écho au Bourgeois de la veille [lire notre chronique]. Après quelques courtes tirades, ceux-ci vont s’asseoir sur les gradins en fond de plateau, Jourdain intervenant plus tard à de rares reprises pour se plaindre de la noirceur du drame et souhaiter une ambiance plus joyeuse.
Plutôt léger, le dispositif scénique imaginé par Gianni Carluccio est organisé autour d’un cube en grillage métallique au centre, à l’intérieur duquel est placé un lit où repose Ariane. Naïade, Driade et Écho sortent des draps qui recouvrent des chaises réparties sur le plateau.
Lorsque la musique démarre, l’Orchestra del Teatro Petruzzelli de Bari est dirigé avec finesse et précision par Fabio Luisi, fidèle directeur musical du Festival della Valle d’Itria. Pendant presque toute la durée de l’opéra, le volume instrumental semble mis sous contrôle, les nuances allant toutefois crescendo en dernière partie d’ouvrage, à partir de l’entrée en scène de Bacchus.
Dans les premières interventions chantées, on retrouve les qualités du soprano Barbara Massaro (Naiade) et du contralto Ana Victória Pitts (Driade), le groupe étant complété par l’autre soprano Mariam Battistelli (Eco). L’entrée de Carmela Remigio dans le rôle-titre produit un effet inhabituel pour qui fréquente régulièrement la pièce de Strauss : on entend évidemment Arianna et non pas Ariadne mais, au delà de la différence linguistique, la typologie vocale du soprano italien – plutôt lyrique que dramatique – donne l’impression d’entendre une chanteuse interprétant le répertoire verdien ou donizettien. L’oreille prend cependant ses marques rapidement et apprécie un instrument d’une certaine autorité, projeté avec force, doté d’un vibrato conforme au personnage de la femme délaissée. Son Esiste un regno (Es gibt ein Reich dans l’original allemand) dessine une sombre ambiance, avec des graves d’outre-tombe sur le mot aldilà (l’au-delà).
La mise en scène de Walter Pagliaro s’avère, par moments, un peu attendue, plusieurs protagonistes chantant une fois à gauche, puis une autre à droite de la scène. Emmené par l’élégant baryton Vittorio Prato (Arlecchino), complété par les ténors Vassily Solodkyy (Scaramuccia) et Manuel Amati (Brighella), ainsi que par la basse Eugenio Di Lieto (Truffaldino), le groupe des comédiens se montre homogène et bien chantant, mais pas spécialement drôle. La raison provient peut-être des riches costumes réalisés par Giuseppe Palella, vraisemblablement embarrassants et pas vraiment colorés comme dans l’imagerie de la commedia dell’arte.
À l’applaudimètre, c’est la Zerbinetta de Jessica Pratt qui remporte la palme, principalement à l’issue de son grand air Potente principessa (initialement Grossmächtige Prinzessin). Il faut préciser que la version originale de 1912 développe bien plus ce rôle que celle donnée de nos jours, avec une section finale de l’air qui paraît durer le double du minutage habituel. Le soprano fait étalage de sa technique – suraigus faciles, trilles, notes piquées, vocalisées, filées, gorghetti, etc. –, et l’actrice est également naturelle et crédible, sans en faire trop dans cet emploi bouffe. La richesse de son costume la transforme par instants en une noble reine interprétant un grand air baroque. Par rapport à la version de 1916, des séquences sont ajoutées plus tard pour les interventions de Zerbinetta, comme après les Circe, Circe du ténor en coulisses, lorsqu’elle entre en scène en poussant la tête du Minotaure, un long passage où elle annonce le héros. Le ténor Piero Pretti (Bacco) est, lui aussi, d’un format plus lyrique que dramatique mais, dans cet espace restreint, son aigu est vaillant et bien exprimé. Il soutient avec panache la ligne tendue de la partition.
Lors du duo final, Ariane et Bacchus tiennent une corde par ses extrémités (image, à nouveau, du fil d’Ariane, thème du festival cette année), puis Bacchus la ramène à lui. Zerbinetta et les quatre comédiens interviennent à nouveau, sur des mélodies déjà entendues précédemment, en occultant les parois grillagées par un tissu et laissant ainsi le couple dans son intimité. Monsieur Jourdain conclut rapidement avec quelques mots puis retire le voile en montrant l’image finale d’une femme morte, comme une momie toute blanche.
IF