Chroniques

par david verdier

Ariodante
dramma per musica de Georg Friedrich Händel

Festival d’Aix-en-Provence / Théâtre de l’Archevêché
- 12 juillet 2014
Ariodante de Händel au Festival international d'art lyrique d'Aix-en-Provence
© pascal victor

Pour un peu, on frôlerait la réussite… Ariodante débarque sur la scène de l'Archevêché dans une mise en scène très contemporaine de Richard Jones. Ce dramma per musica est plongé dans une atmosphère de roman noir, à la banalité vénéneuse. L'Écosse dans laquelle le livret situe l'action est réduite au décor unique d'un cottage battu par la tempête, avec espace intimiste et presque étouffant. Les motifs liberty de la tapisserie et les cœurs brodés côtoient les rangées de couteaux trônant au-dessus de la Bible. La communauté qui vit là est soumise aux invectives rigoristes d'un Polinesso troquant son costume de duc D'Albany pour la soutane hypocrite d'un prêcheur fanatique et pervers. La stylisation des cloisons et des portes montre ce qui se dissimule à l'intérieur des espaces. Cet élément permet une alternance de voyeurisme et de tension créée par la proximité du danger derrière la séparation. Seul le pivotement du happy au unhappy end jette un éclairage nouveau et déstabilisant – Ginevra quittant les réjouissances des retrouvailles pour aller mener sa vie de « mauvaise fille ».

Le remplacement du rébarbatif ballet par un jeu de marionnettes crée une mise en abîme ainsi qu'un commentaire mimé des péripéties, ce qui varie l'alternance parfois rébarbative de récitatifs et d'airs. La mise en scène concentre l'attention sur le personnage de Ginevra, fille du Roi d'Écosse, amante d'Ariodante et convoitée par le fourbe Polinesso. Ce parti pris fonctionne idéalement et en parfaite cohérence avec les forces vocales présentes sur scène. Sarah Connolly (Ariodante) ne joue pas la fusion amoureuse et l'excès de gestes héroïques. L'essentiel se joue pour elle hors-scène, à commencer par la rocambolesque tentative de suicide dans la mer déchaînée. Le célébrissime Scherza infida est comme vidé de son contenu, tant la charge émotive semble décentrée sur la souffrance de Ginevra, abusée par la machination du duc. La folie et la déréliction élégiaque de l'héroïne trouvent leur point d'aboutissement lorsque le roi la repousse, la croyant impudique et infidèle. Complètement déconcertée, elle perd la raison et appelle la mort. Il mio crudel martoro de Patricia Petitbon réduit le théâtre au silence absolu – retenant son souffle quand, sur la note tenue qui précède la reprise, on guette le mouvement de ses lèvres. Cette virtuosité du désespoir efface quelques incartades excessives (Volate, amori), signature en forme d'œillade au public en quête de pyrotechnie. La Dalinda de Sandrine Piau n'est pas confinée au faire valoir d'un rôle de confidente. Le livret lui réserve une ambiguïté de caractère, passant du statut de complice à celui de victime. L'écriture aérienne des ornementations (Ingrato Polinesso) trouve ici une interprète de haut vol, tant par la précision des attaques et des hauteurs que par le charisme naturel de la voix.

Les seconds rôles sont dominés par les deux personnages masculins, la basse Luca Tittoto (le roi) et le jeune ténor américain David Portillo (Lurcanio). Le premier exprime la noble autorité d'une émission sans défaut qui force le respect ; le second triomphe dans des arie di bravura qui jaillissent dans un parcours narratif complexe (Il tuo sangue). On peut objecter au Polinesso de Sonia Prina de « truquer » certaines vocalises (Se l’inganno sortisce felice), mais ni la couleur ni le timbre ne font défaut à la perversité du personnage.

Des lauriers, enfin, pour un Freiburger Barockorchester qui se tire brillamment du péril d'une représentation de plein air, avec bourrasques et roucoulades de pigeons. La fermeté des cordes fait oublier l'effectif relativement modeste, de même que les cuivres et la petite harmonie occultent par la justesse des intonations les rares imperfections des attaques. Relativement discret dans le premier acte, Andrea Marcon gagne en intensité au moment où l'action plonge dans le drame. La battue est précise et sans compromission, un rien sévère quand il s'agirait de faire entendre une tendresse bien venue.

DV