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Chroniques
Ariodante
dramma per musica de Georg Friedrich Händel
La chose pourra surprendre : c’est de la pénultième représentation de cette production nouvelle d’Ariodante d’Händel que cette chronique rend compte, l’enthousiasme qui d’habitude caractérise notre présence dès la découverte d’un spectacle s’étant trouvé entravé par la grève provoquée par le passage en force de la réforme des retraites – la première fut réduite à une exécution de l’œuvre en version de concert, la deuxième intégralement annulée, etc., notre propre carnet de bal s’étant assez maladroitement adapté, nous le confessons. Bien des moments lyriques auront été contrariés par la juste rogne des Français, rendant difficile le prochain vote du Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique et Danse, en vue des Prix qu’il décerne chaque année à la fin du printemps : comment, en effet, se prononcer lorsque la SNCF dut bloquer la circulation ferroviaire, quand ce n’était pas le personnel des maisons d’opéra lui-même qui ajournait certaines soirées, afin de signifier son désaccord à nos gouvernants qui ont visiblement oublié qu’ils sont d’abord élus par chacun et non délégués en basse terre par une instance céleste leur donnant tout pouvoir d’agir selon leur caprice ? Les prix de la critique seront toutefois remis en 2023, comme ils le furent en 2021 malgré la plus cruelle maigreur d’une actualité musicale qu’avaient goulûment grignotée les mesures, souvent excessives, décidées par les mêmes instances dans le cadre de ce qui fut appelée crise sanitaire – le mot-clé depuis mai 2017 : crise (économique, sécuritaire, sociale, sanitaire, économique, sociale et ainsi de suite, dans l’ordre qui vous plaira). Bref, nous voyons enfin Ariodante au Palais Garnier !
Et que voyons-nous ? Un dispositif principalement vert, d’une haute taille propre à évoquer quelque résidence royale, comme l’invite l’argument de l’ouvrage dont l’action se déroule à la cour du roi d’Écosse. De là à user abondamment du tissu à couleurs croisées, de whisky et de kilts, il n’y avait qu’un pas que Robert Carsen et son équipe ont franchi avec une ferveur aussi souriante qu’elle est trop souvent abusive, réduisant vite son sujet à une anecdotique profusion de nombreux gags et d’interventions incessantes d’une domesticité invasive, musée Tussaud compris, en insistant sur la fièvre de la presse à ragots royaux. Dans les décors à l’esthétique soignée qu’ont réalisés Luis F. Carvalho et Carsen lui-même évoluent des costumes (Carvalho) qui oscillent entre l’aujourd’hui et l’imprégnation du décorum dans la tradition locale, avec cornemuses en prime – en synchronie avec les vents de la fosse, donc muettes, malheureusement. On doit à Peter Van Praet un travail de la lumière qui avantage visuellement la proposition globale, et, surtout, à Nicolas Paul une chorégraphie proprement salutaire qui magnifie cet Ariodante dans les quelques moments confiés à la danse.
À la tête de l’English Concert, Harry Bicket, dont nous ne présentons plus le talent [lire nos chroniques Rinaldo, Stabat Mater et Radamisto], signe une lecture fort attentive à l’équilibre entre fosse et scène, à la faveur d’une distribution vocale principalement marquée par son manque d’unité, par-delà ses qualités et les savoir-faire qu’elle réunit. Ainsi apprécions-nous la Ginevra onctueuse et bien chantante d’Olga Kulchynska, particulièrement touchante [lire nos chroniques de La bohème, Die Zauberflöte et Le conte du tsar Saltan], l’agilité remarquable de Tamara Banješević qui livre une Dalinda fort attachante [lire notre chronique de Parsifal], l’excellent Polinesso de Christophe Dumaux, à la nuance si savoureusement perfide, qui semble s’amuser toujours autant à chanter les méchants. Le ténor lumineux à l’expression toujours soigneusement musicale d’Eric Ferring est un bonheur en Lurcanio de belle tenue – assurément la voix qui satisfait le plus, ce soir. Encore Enrico Casari campe-t-il un Odoardo plus qu’efficace [lire nos chroniques d’Ariadne auf Naxos, Manon Lescaut, Cavalleria rusticana, Le nozze di Figaro et Carmen]. Nous ne saurions en dire autant du Re di Scozia, chevrotant de fatigue, ni du rôle-titre, irréprochable quant à la ligne vocale et à l’engagement dramatique, mais d’un impact trop confidentiel, vraiment. Bravo aux artistes du Chœur de l’Opéra national de Paris, menés par Alessandro Di Stefano, pour leur prestation accomplie.
BB