Chroniques

par marguerite haladjian

Armide
tragédie lyrique de Jean-Baptiste Lully

Théâtre des Champs- Élysées, Paris
- 14 octobre 2008
Armide de Lulluy au Théâtre des Champs- Élysées (Paris)
© álvaro yáñez

L’illustre théâtre de l’avenue Montaigne accueille une nouvelle production du dernier grand ouvrage lyrique du compositeur fondateur de l'opéra français. Sous la direction de William Christie à la tête de ses Arts Florissants, mise en scène par le Canadien Robert Carsen, dans des décors et costumes sobres et élégants de Gideon Davey et chorégraphié par Jean-Claude Galotta, Armide y déploie ses fastes et ses jeux de miroir séduisants.

Cette tragédie en musique, commandée pour Carnaval, tire son intrigue de La Jérusalem délivrée du Tasse. Louis XIV choisit le sujet parmi ceux que le librettiste Philippe Quinault lui proposa. Malgré la maladie et l'opération qui s'en suivit, Lully acheva son opéra dans les temps souhaités par le souverain. Armide, créée au Théâtre du Palais Royal (Paris) le 15 février 1686 en présence du Dauphin, connut un triomphe, ainsi que l'attestent les contemporains, et Lully lui-même écrivit dans sa dédicace au Roi : « De toutes les tragédies que j'ai mises en musique, voici celle dont le public a témoigné être le plus satisfait : c'est un spectacle où l'on court en foule et jusqu'ici, on n'en a point vu qui ait reçu plus d'applaudissements ».

Le caractère novateur du spectacle plait. L'opéra se déroule dans le monde merveilleux de la chevalerie et non plus parmi les dieux de la mythologie antique. La figure impressionnante d'Armide séduit l'imaginaire. La mystérieuse magicienne, amoureuse déchirée par sa passion ardente et sa fureur, son désir cruel de vengeance et sa quête d'amour, fascine. Mais le Roi n'assiste à aucune représentation, ni même à l'audition lorsqu’à la demande de la Dauphine l'œuvre est chantée dans les appartements de Versailles. Dans sa préface, Lully lui dit sa déception : « Mais que me sert-il, Sire, d'avoir fait tant d'efforts pour me hâter de vous offrir ces nouveaux concerts ? Votre Majesté ne s'est pas trouvée en état de les entendre et Elle n'en a voulu prendre d'autres plaisirs que celui de les servir au divertissement de ses peuples ». En 1683, Louis XIV a épousé la dévote Madame de Maintenon. Sous son influence, il se rapproche peu à peu des milieux religieux opposés aux divertissements et à l'opéra en particulier. Par ailleurs, la vie dissolue du compositeur libertin qui représente alors le péché et le mal provoque sa disgrâce auprès d’un roi qui désormais mène une existence austère et puritaine qui l'éloigne de ce qu'il aima tant.

Ce succès d’autrefois trouve un écho auprès des spectateurs de ce soir. Pour le bonheur des mélomanes, voilà Armide ressuscité dans une interprétation vive qui le réactualise finement. La conduite véhémente et précise de William Christie, à son aise dans l'univers lulliste, entraîne musiciens et chanteurs avec ferveur. La mise en scène raffinée de Robert Carsen, sur fond de dégradés subtils de gris réveillés par les touches rouges des costumes, joue des codes baroques dans sa conception générale. Sa direction libère acteurs, chanteurs et danseurs tout en respectant l'esprit de ce théâtre musical qu'il fait débuter par une visite filmée du Château de Versailles. Parmi les touristes, Renaud, le chevalier médiéval perdu dans le rêve du Grand Siècle, s'endort sur le lit du Roi. La chorégraphie de Jean-Claude Galotta, inspirée de la gestuelle baroque revisitée par une esthétique contemporaine, soutient le dynamisme de la partition. À eux trois, ces artistes façonnent un spectacle total pour que soient satisfaits, selon Boileau, « l'esprit, les yeux, les oreilles des spectateurs ».

Une formidable équipe de chanteurs s'est attelée à parfaire la déclamation à la française, particulièrement dans les récitatifs auxquels Lully confie les pages les plus dramatiques. L'Armide de Stéphanie d'Oustrac séduit d'emblée. Son chant campe avec sensibilité une magicienne que l'amour rend douloureuse et fragile. Sa présence scénique rayonnante, la plénitude de son mezzo-soprano valorisent ses talents d'interprète et ses qualités mélodistes, en particulier dans le célèbre monologue de l'Acte II. Face à elle, en Renaud, Paul Agnew, familier de ce répertoire, donne, par sa diction et ses accents de ténor aux aigus clairs, une dimension poétique et quasi lunaire au personnage du héros envoûté. Son monologue Plus j'observe ces lieux est une des pages les plus émouvantes de la partition. Le reste de la distribution englobe, entre autres chanteurs tous rompus à l'art du chant baroque, le baryton-basse Nathan Berg (Hidroat, oncle de la magicienne), Laurent Naouri, impressionnant dans le rôle de La Haine,Claire Delbono (soprano) et Isabelle Druet (mezzo-soprano), toutes deux confidentes d'Armide, trois figures féminines qui valurent au testament musical de Lully d’être appelé « l’opéra des femmes ».

MH