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Chroniques
Armide
drame héroïque de Christoph Willibald Gluck
Après le Concerto pour piano n°2 de Wolfgang Rihm (2014) et deux mémorables soirées verdiennes en Espagne, remontons le temps avec les cinq actes de Quinault, mis en musique une première fois par Lully en 1686 et recréés dans la version de Christoph Willibald Gluck à l'Académie royale de musique (ancêtre de notre Opéra national de Paris), en 1777 [lire nos chroniques des 20, 23 et 24 janvier 2017]. On découvre le théâtre de Georg Moller où se donne, cet après-midi, la production de Lydia Steier.
Sur son île enchantée, Armide tourne la tête au voyageur.
La soldatesque de Renaud croupie dans une grande cage, tandis que les courtisans de la redoutable magicienne se bâfrent et copulent tant qu’ils peuvent dans des intérieurs oniriques où flottent buffets, armoires, secrétaires, lustres et même carrosses, mobilier rococo d’un immaculé blanc de lys. Le costume est blanc, lui aussi, avec des touches dorées : ruban, pectoral, ceinture, justaucorps, perruque, cape, cache-sexe, mitre et autres nombreux colifichets qui soulignent les nudités, en définitive. Face aux rondeurs appuyées, ventres, mamelles et gros popotins déployés, c’est l’affranchi Trimalcion qu’on s’attend à voir siéger ici, en maître ès orgies ! La réalisation de Katrin Kersten, pour le décor ingénieux, et de Gianluca Falaschi, quant aux costumes très soignés, fait penser à Fellini, bien sûr, y compris dans les scènes moins aveuglantes où les lumières verdâtres d’Ulrich Schneider révèlent des anthropomorphes inquiétants, tous prisonniers de leur transformation : homme-bélier priapique, allégorie de la Haine en étrange femme-vache à vingt seins, etc.
De signature parfaitement baroque, l’écrin de la mise en scène de Lydia Steier ne s’attache en rien à l’origine du conte, la vaste épopée du Tasse (La Gerusalemme liberata, 1581) où d’autres metteurs en scène auraient peut-être fouillé la confrontation des mondes chrétiens et islamiques du temps des croisades à la lorgnette de notre actualité – on ne s’en plaint pas, au contraire. L’action se concentre sur la magicienne, appliquant à la lettre l’expression dévoreuse d’hommes dans des simulacres d’éventration et de sacrifice anthropophage. La direction d’acteurs ne laisse rien au hasard dans cette machination maléfique de la jouissance qui se solde par l’aveu d’une solitude invivable – c’est l’amour qu’Armide défie et désire, en vain.
En fosse, le Philharmonisches Staatsorchester Mainz est confié aux bons soins du jeune Clemens Schuldt, nouveau directeur artistique du Münchener Kammerorchester. Il dynamise vertement les pupitres dans une approche qui conjugue le soutien bien dosé des voix et l’investissement de l’expressivité instrumentale. Certains passages paraîtront un peu heurtés, mais c’est là une maladresse que le métier palliera, la vigueur de l’interprétation laissant augurer de belles réussites.
Aux côtés d’un Opernchor des Staatstheater Mainz qui fait des efforts louables dans la prosodie, le cast s’en sort largement. Hidraot est bien servi par le timbre sombre de Peter Felix Bauer. La souplesse de Johannes Mayer convient au Chevalier danois comme à la partie d’Artémidore. En Ubalde, Heikki Kilpeläinen n’est pas toujours stable, sans discréditer le personnage. Le jeune mezzo Geneviève King fait un tabac en Haine truculente !
Le couple impossible de la légende n’est pas en reste.
On retrouve le ténor incisif de Ferdinand von Bothmer en Renaud ensorcelé au long souffle, avec une efficace diction française [lire notre chronique du 28 août 2016 et notre critique DVD]. Le rôle-titre est magistralement tenu par Nadja Stefanoff, voix généreuse et chant cultivé dans un tempérament de tragédienne accomplie.
HK