Chroniques

par bertrand bolognesi

Armide
tragédie en musique de Jean-Baptiste Lully

Opéra de Dijon
- 29 avril 2023
Stéphanie d’Oustrac est l'Armide de Lully et Quinault (1686) à l'Opéra de Dijon
© mirco magliocca | opéra de dijon

Troisième et dernière représentation, ce samedi soir à l’Opéra de Dijon, de la nouvelle production d’Armide, tragédie en musique de Jean-Baptiste Lully sur un livret de Philippe Quinault, en cinq actes avec prologue, à laquelle le Théâtre du Palais Royal donna le jour en février 1686. Loin de s’ingénier à quelque exercice de reconstitution plus ou moins historiquement renseignée, Dominique Pitoiset, maître des lieux où s’est entamée la troisième année de son mandat, interroge notre contemporanéité via la vêture signée Nadia Fabrizio dans un jeu de miroir, cher au temps baroque, qui, à plus d’un titre, invite la narcissisme galopant, pour ne pas dire affolé, de notre société en sa fébrile autocontemplation.

Avec la complicité de son frère Christophe pour la scénographie et les lumières, le metteur en scène (né à Dijon en 1958) [lire nos chroniques de The turn of the screw et de La bohème] offre à l’argument un dispositif frontal de gradins, faisant face au public : ainsi ce dernier se mire-t-il dans cette action à la fois guerrière et amoureuse, comme à y chercher les indices de la concurrence performative qui caractérise son quotidien. Un saupoudrage discret de signifiants, que suggère la proposition vidéastique d’Emmanuelle Vié le Sage, dessine sur l’ultra conventionnalité de notre aujourd’hui une norme de l’anormal, pour ainsi dire : celle du soutien de l’enfer à la redoutable héroïne qui, après l’avoir pourtant invoqué, repoussera la Haine pour se mieux laisser dominer par un sentiment qu’elle n’a pas souhaité, qu’elle rejette, qu’elle abhorre… qu’elle adore, enfin.

Au pupitre de son Poème Harmonique auquel s’adjoignent les artistes du Chœur de l’Opéra de Dijon, dûment préparés par Anass Ismat, Vincent Dumestre signe une lecture où se rencontrent la majesté et le sentiment et que cisèle une fluidité de belle tenue, loin des fièvres et autres tressautements pratiqués par nombre de ses confrères spécialisés dans le répertoire baroque. Sans trop lénifier jamais, toutefois, le musicien favorise une approche minutieusement soignée de l’ouvrage, à la faveur d’inflexions toujours choisies, en saine connivence avec des instrumentistes qui le défendent plus qu’habilement. La qualité d’écoute entre fosse et plateau est un gage de réussite que la soirée ne contredit pas.

La distribution réunit avec avantage quelques voix que l’on retrouve avec plaisir. Ainsi du souple baryton-basse de Virgile Ancely, tour à tour Aronte et Ubalde auxquels il prête une appréciable clarté de timbre [lire nos chroniques de Pyrrhus, Orfeo, Saint François d’Assise et Le Balcon]. Il en va de même de la Sagesse, des Phénice et Mélisse loyalement servies par le soprano généreux de Marie Perbost [lire nos chroniques de Die Zauberflöte à Tours, Il mondo alla roversa et Platée], ainsi que de l’excellente Eva Zaïcik, mezzo-soprano remarquablement coloré auquel sont confiées les parties de la Gloire, Sidonie et Lucinde [lire nos chroniques d’Iliade l’amour, Il terremoto, Die Zauberflöte à Limoges, Ariane et Barbe-Bleue à Toulouse, La dame de pique et Il barbiere di Siviglia]. Avec cette franche fermeté qu’on attend bien de lui, Tomislav Lavoie campe efficacement Hidraot [lire nos chroniques de La reine de Chypre, Léonore ou L’amour conjugal, Les Huguenots, Les Troyens, Ariane et Barbe-Bleue à Lyon, Israel in Egypt et L’amour des trois oranges].

Encore découvrons-nous la noirceur de timbre idéale dont use Timothée Varon (baryton) avec parcimonie en Artémidore, s’y déchaînant sans compter dans le rôle de La Haine. Outre le bonheur d’entendre le vaillant et très fiable de David Tricou (ténor) en Chevalier danois et, surtout, en Amant fortuné gentiment enjoué [lire nos chroniques de Contes de la lune vague après la pluie et de Stratonice], applaudissons les danseuses et danseurs de la Compagnie Beaux-Champs (Bruno Benne, Polonie Blanchard, Alix Coudray, Océane Delbrel, Laure Desplan, Catarina Pernao et Anaïs Vignon), dans une chorégraphie de Bruno Benne.

Au faîte du plateau vocal, deux voix qu’on ne présente plus, qui portent haut le chant baroque depuis de longues années déjà, perfectionnant leur art avec passion. Avec cette élégance bien à lui, Cyril Auvity incarne un Renaud au legato benoît, à peine resserré parfois dans l’aigu, ce qui ne ternit pas sa confondante musicalité. Enfin, en tragédienne accomplie, l’expressive Stéphanie d’Oustrac livre une Armide qui brûle les planches, non sans oser aventurer son organe vers des contrées résolument théâtrales, en toute cohérence avec l’option de mise en scène, de plus en plus concentrée dans le jeu, jusqu’à toucher le spectateur au moment des ultimes résolutions et des adieux. Une Armide qui, pour ne pas révolutionner les conceptions qu’on en put voir [lire nos chroniques de celles de Pascal Rambert, de Marshall Pynkoski et de David Hermann], honore l’œuvre, et que vous pourrez goûter du 11 au 14 mai à l’Opéra Royal (Château de Versailles).

BB