Chroniques

par bertrand bolognesi

Arminio | Arminius
opéra de Georg Friedrich Händel

Internationale Händel Festspiele / Badisches Staatstheater, Karlsruhe
- 26 février 2017
Au Badisches Staatstheater (Karlsruhe) Max Emanuel Cenčić met en scène Arminio
© felix grünschloß

Un peu plus de cent lieues au nord de Karlsruhe, en direction d’Hambourg via Hanovre, en Teutoburger Wald le promeneur peut voir sur le mont Grotenburg une figure guerrière brandir son épée au sommet d’un monument circulaire à colonnes de briques. Érigé par le sculpteur et architecte bavarois Ernst von Bandel, inauguré en grande pompe par l’empereur Guillaume I en 1875, l’Hermannsdenkmal célèbre une bataille qui, en l’an 9 de notre ère, unissait les tribus germaines contre les légions romaines. Dans ses Ab excessu diui, Tacite évoque la victoire du vaillant Armenius le Chérusque (ici Hermann der Cherusker). Dans ce récit le Toscan Antonio Salvi (1664-1724) puise la matière d’un livret d’opéra qu’il brode également à partir d’Arminius, tragédie en cinq actes et en vers du Toulousain Jean Galbert de Campistron (1656-1723), son contemporain, représentée en 1684 par les Comédiens-Français au Théâtre de Guénégaud. Mis en musique à de nombreuses reprises au début du XVIIIe siècle – Alessandro Scarlatti (Pratolino, 1703), Antonio Caldara (Gênes, 1705), Agostino Steffani (Düsseldorf, 1707), Carlo Pollarolo (Venise, 1722) et Johann Adolph Hasse (Milan, 1730), entre autres –, cet Arminio inspire Georg Friedrich Händel à l’automne 1736. Sous ce titre, l’œuvre est créée à Londres en janvier 1737.

Réitérant l’union heureuse du Festival d’Athènes avec Parnassus Arts et Decca, efficacement éprouvée par Siroe, re di Persia [lire notre chronique du 26 novembre 2014], le contre-ténor Max Emanuel Cenčić associe aujourd’hui l’Internationale Händel Festspiele de Karlsruhe, en coproduction de l’Arminio qu’il met en scène. On retrouve le vidéaste Étienne Guiol dans l’animation de ciels tourmentés et la projection fort expressive de visages de suppliciés, façon Georges-Henri Rouault, après la prise du château par les troupes de Varo. Corina Grămoşteanu et Helmut Stürmer signent une garde-robe Louis XVI de bel effet, le dernier réalisant aussi le décor, triple dispositif de façades à miroirs dépolis qui tourne dans une lumière d’apocalypse pour laquelle Christoph Häcker le seconde. Cenčić transpose l’argument à la Révolution française. Arminio et sa famille dîne, mais il faut fuir un ennemi qui, dès installé dans les lieux, arbore tout d’une armée de la République (une quinzaine de figurants, en sus des deux du général et du tribun chanteurs). De prime abord, l’urgence du spectacle fonctionne plutôt bien, avec sa géographie étourdissante, si l’on ne s’arrête pas trop à un concept vite limité. Par-delà cette option discutable mais magistralement défendue, l’esthétique en est heureuse, contrastant avec un ancrage bien terrestre que Siroe ne possédait pas. Cenčić apprend très vite, aucun doute là-dessus [lire notre entretien].

L’artiste ne déroge pas à sa réputation de bon musicien et déploie avec tout le métier de chanteur qu’on lui connaît dans le rôle-titre, au fil d’une interprétation vaillante et nuancée, quoiqu’assez froide. Plus que les moyens et la présence, c’est le ressort technique qui caractérise une prestation irréprochable. Un second alto vient colorer la distribution pour le tribun Tullio, campé par un Owen Willetts agile et puissant. Récemment applaudi en Lurcanio d’Ariodante [lire notre chronique du 15 avril 2016], on retrouve le jeune ténor espagnol Juan Sancho en Varo brûlant d’amour pour la belle du fier Chérusque. La clarté du timbre et la conduite sûre de la ligne font oublier quelques avanies d’intonation. Le soprano fulgurant de Lauren Snouffer (Tusnelda) est au rendez-vous [lire notre chronique du 18 septembre 2010] : la précision des plus rapides arie, l’autorité du désaveu de son père (Al furor che ti consiglia, II), le tendre doloro de Rendimi il dolce sposo (II) et un lamento irrésistible (Tra speme e timore, III) conjuguent avec avantage une riche palette expressive. Le baryton-basse Pavel Kudinov sert au cordeau Segeste, le crudo genitor félon, y compris dans l’écriture redoutable de Fiaccherò quel fiero orgoglio, au premier acte, avec ses intervalles insensés. Ce père ignoble, auquel Händel a perfidement réservé une partie fruste qui le rend naturellement antipathique, a un jeune fils soupirant pour Ramise, la sœur d’Arminio, personnage rendu buffo par la mise en scène et que chante adroitement le mezzo-soprano Gaia Petrone.

Quant à son chien fou d’amoureux, il bénéficie de l’indicible pureté de timbre du jeune soprano Aleksandra Kubas-Kruk dont l’émission évidente, la souple projection, l’ornementation maitrisée autant qu’inventive nous font écrire qu’elle est LA voix de cette représentation. É vil segno d’un debole amore (I) amène l’émotion malgré la caricature où la direction d’acteurs cantonne Sigismondo, la virtuosité de Quella fiamma (II), avec ses trilles hallucinants, laisse pantois, quand Impara a non temer, air très italien du dernier acte, est une petite merveille à lui tout seul – bravo pour le contre-ut# pianissimo !

La fosse demeure un mystère… À la tête de son Armonia Atenea, George Petrou donne un Acte I à l’image de sa Sinfonia initiale, à la fois corsetée et pesante, accusant des soucis de justesse et, surtout, une accentuation trop heurtée, une insistance systématique. Les miracles surviennent lorsqu’on ne les attend pas, dit-on : toute brutalité disparaît du II, l’orchestre se bonifie sensiblement et offre une articulation moins violente, parfois même élégante. L’Acte III confirme ce constant progrès de l’exécution, avec un superbe entrelacs de cordes virevoltantes durant Quando più minaccia il cielo (duo de Tusnelda et Ramise). Loin de l’enchantement de Semele [lire notre chronique de la veille], cet Arminio ne déplaît cependant pas.

BB