Chroniques

par bertrand bolognesi

Arnold Schönberg et Max Reger
Sextuor de la Philharmonie de Berlin

Auditorium du Musée d’Orsay, Paris
- 18 mars 2004
© dr

Pour son dernier concert du cycle Les origines de l’avant-garde, le Musée d’Orsay reçoit le prestigieux Sextuor de la Philharmonie de Berlin qui réunit Rainer Kussmaul (premier violon des Berliner Philharmoniker depuis une vingtaine d’années) et Suzanne Calgéer aux violons, Wilfied Strahle et Gertrude Rossbacher aux altos, Martin Ostertag et Christoph Igelbrink aux violoncelles. Le programme de ce soir pourrait s’intituler Après Brahms, s’agissant bien de faire entendre les alternatives adoptées par deux musiciens vis-à-vis de l’esthétique de l’Hambourgeois.

Avec, pour commencer, la fameuse Verklärte Nacht Op.4 écrite par Arnold Schönberg à la fin de 1899, la formation présente le choix d’un compositeur de vingt-cinq ans qui intègre l’idée d’un programme, plus courante lorsqu’il s’agit de musique symphonique, à une pièce de chambre, encore non chantée (cette étape avait été secrètement franchie cependant avec Ein Harfenklang pour harpe, quatuor et soprano – je dis « secrètement » car l’œuvre ne fut pas donnée en public avant celle qui nous occupe). On sait l’admiration de Schönberg pour les deux sextuors à cordes de Brahms – il devait d’ailleurs arranger pour orchestre le Quatuor en sol mineur avec piano Op.25 n°1 quelques trente ans plus tard. Mais Brahms n’aurait certes jamais associé un poème à sa « musique pure » ! Le respect pour le maître se conjugue avec la fascination pour Wagner, largement constatable dans le traitement des thèmes. Le poème de Richard Dehmel – un poète qui inspira beaucoup Schönberg puisqu’on trouve ses vers dans des mélodies dès 1896 et jusqu’à 1915 – n’est pas à proprement parler « illustré » par la partition ; elle se concentre plus précisément à en recréer les climats possibles, de même que l’orchestre wagnérien ne figure pour ainsi dire jamais les situations de son théâtre, pour en mieux soutenir les affects.

Admirateur de l’œuvre de Richard Strauss, le jeune musicien n’a pas renoncé, en écrivant son œuvre, à des effets d’un lyrisme parfois appuyé. Aussi l’équilibre n’est-il pas aisé à maintenir lors d’une exécution. Aujourd’hui, le Sextuor de la Philharmonie de Berlin arbore une sonorité secrète qui ne livre rien, à partir d’une inquiétante précarité sur les prémices de thème, une vraie prise de risque. L’ensemble est, en général, lancinant, abordant le lyrisme avec circonspection et sans jamais exagérer la mobilité des tempi. Plutôt que d’appuyer une tendance au pathos, cette lecture globalement lente laisse sourdre une saisissante gravité, dans une architecture toujours très droite.

D’une toute autre manière, Max Reger [photo] intègre l’influence de Brahms dans sa musique. On le connaît encore mal en France où il reste peu joué. Pour situer : il nait en 1873 dans le Palatinat, étudie auprès de Riemann à Wiesbaden et Munich, devient à son tour professeur de composition à Leipzig en 1907, ce qui ne l’empêche pas d’accepter des postes de professeur et de chef d’orchestre à Iéna et ailleurs. Il sera largement reconnu en tant que chef et pianiste. Il enseigna un respect aux grandes formes du passé, en particulier à la fugue, et rendit souvent hommage à Bach dans ses propres œuvres. Il reste aujourd’hui judicieux de faire travailler à des élèves pianistes les fugues qu’il composa pour cet instrument, sortes de à la manière de Bach accusant des distorsions déroutantes qui tiennent l’interprète dans un cruel et permanent état de tension. Reger écrira nombre de pièces pour orgue dans lesquelles on lit facilement les traces de Bach, de Brahms et de Liszt. Il produisit beaucoup et dans un temps relativement court : de la musique de chambre, des pièces pour piano, des variations symphoniques, des concerti, marquant une réticence à l’encontre de la voix en générale.

Comme tous les compositeurs de cette génération, il s’est situé par rapport à Brahms, mais immanquablement par rapport à Wagner, ce que son Sextuor Op.118 de 1910 laisse largement aborder. Dès les premières mesures de l’Allegro energico, on constate la même approche sculpturale de la partition de la part des instrumentistes berlinois. Le temps avance un peu plus librement. Les phrases de violoncelle solo bénéficient d’une réalisation somptueusement lyrique. Des échanges précieusement nuancés et une remarquable plénitude sonore interpellent l’auditeur. Cependant, il n’aurait certes pas été contre une lecture plus souple du second mouvement, peut-être plus fantaisiste. La couleur choisie est appréciable, mais il demeure trop statique. Saluons Wilfried Strehle pour ses beaux traits dans le Largo, en général joué sans pathos, développant de longues phrases puissamment nourries, avec simplicité et sensibilité. Toutefois, nous émettrons une réserve quant au flamboyant Allegro finalqui supporterait aisément une interprétation plus sensuelle.

BB