Chroniques

par bertrand bolognesi

Artaserse
opéra de Johann Adolf Hasse

Markgräfliches Opernhaus, Bayreuth
- 14 avril 2018
"Artaserse" d'après Hasse rouvre le Markgräfliches Opernhaus de Bayreuth
© jean-marc turmes

Après la soirée spéciale de jeudi où avait lieu l’inauguration officielle de l’Opéra des Margraves restauré, en présence des élus et des descendants de familles princières impliquées dans son histoire, la véritable première (en ce qu’elle est publique) du spectacle conçu pour l’occasion a lieu ce samedi. Ainsi découvrons-nous un incomparable joyau de l’architecture rococo, plus orné encore que le Théâtre Cuvilliés de Munich (qui accueillera cette production le mois prochain), sans parler du sobre écrin du château de Schwetzingen [lire nos chroniques des 26 juillet et 21 janvier 2017, puis du 28 janvier 2018]. Fermé pour travaux en 2012, au moment où l’UNESCO l’inscrivait à son patrimoine mondial, la Markgräfliches Opernhaus subit quelques dommages au moment des grandes inondations du printemps 2014 dont la prise en charge est venue retarder la livraison du monument dûment rénové dont elle a également gonflé le budget initialement prévu. Au total, les institutions territoriales ont investi vingt-neuf millions d’euros dans la réhabilitation du théâtre construit entre 1744 et 1748 sur ordre de la princesse Wilhelmine von Preußen, margravine de Bayreuth, pour célébrer fastueusement les noces de sa fille Elisabeth Friederike Sophie avec Karl Eugen von Württemberg. À cette occasion fut joué Artaserse – ce fameux opera seria de Métastase généra, à partir de celui de Vinci (1730), près d’une centaine d’ouvrages lyriques. De fait, la version de Johann Adolf Hasse alors mise à l’honneur connut elle-même plusieurs moutures. Saluons donc l’à-propos de la programmation qui s’inscrit dans l’histoire du prestigieux édifice.

La façade de pierre claire dessinée par Joseph Saint-Pierre, relativement austère par-delà la surveillance des muses en son fronton, laisse découvrir un petit hall puis un haut réseau d’escaliers blanc. La quatrième étape de l’immersion dans le lieu est de pénétrer dans l’exubérance ornementale signée Giuseppe Bibiena : ici, pas une colonne où ne grimperait quelque feuillage baroque, pas une corbeille sans angelots, etc. Loin de se contenter d’une sommaire remise à neuf, la vaste entreprise de restauration révèle des couleurs qu’on penserait patinées par l’âge et quelques surfaces de bois brut, comme les planchers qui affichent une simplicité tant paradoxale que sympathique. En outre, les maîtres d’œuvre du projet renièrent à raison la scène telle qu’elle avait été réduite par les derniers aménagements, au milieu des années trente, au profit de la reconstruction du plateau original, nettement plus grand. Il semble aussi que la fosse d’orchestre ait été agrandie. Enfin, la mise à niveau des équipements techniques et la subtile retouche de cette parure d’exception se conjuguent à une acoustique idéale que révèlent d’emblée les premières mesures de la représentation.

Malgré son indéniable cohérence et une posture qu’on pourra dire de bonne volonté, le contenu proprement dit de la soirée ne semble pas franchement à la hauteur. Confié à la Theaterakademie August Everding, sise au Prinzregententheater de Munich, ainsi qu’à l’Hochschule für Musik und Theater München, l’événement accueille un curieux objet conceptuel élaboré par les dramaturges Julia Schinke et Eva Pons avec le metteur en scène hongrois Balázs Kovalik. Plutôt que l’œuvre d’Hasse, c’est l’implication du théâtre dans la vie de Wilhelmine de Prusse qui leur importe de montrer, enfin cette vie elle-même, à travers l’insert de textes, de lettres, etc. Aussi la scénographie de Csaba Antal opère-t-elle par mise en abyme de la Markgräfliches Opernhaus dont la scène en modèle réduit flotte sur la scène. Ce procédé, éminemment baroque, cela dit, permet de jouer a giorno les interventions machiniques, devant le public et, surtout, devant l’énergique margravine dont le rôle revient au soprano Anja Silja. Si les précédents travaux de Kovalik ont satisfait [lire nos chroniques de ses Die Tragödie des Teufels, Elektra et Mefistofele], celui-ci ouvre en grand les vannes d’une abyssale perplexité.

De jeunes voix entourent la vénérable wagnérienne dont le dire peine aujourd’hui à passer la rampe, comme son ultime tentative chantée dans un accompagnato conclusif redoutablement râpeux. Le ténor clair et diablement incisif de Tianji Lin se charge de la partie de l’Intrigant. L’aigu fulgurant et toujours adroitement amené de Pauline Rinvet (soprano colorature) teinte d’une légèreté bien venue le rôle de la Sœur. La fiabilité de Kathrin Zukowski (soprano) ne fait pas l’ombre d’un doute en Frère, quand le timbre à la fois présent et caressant de la basse Eric Ander, applaudi l’été dernier, honore les interventions du Père [lire notre chronique du 5 juillet 2017]. Malgré ces belles qualités, les incessantes rodomontades vocales ne bénéficient pas d’une réalisation probante. Seul le mezzo-soprano russe Natalia Boeva domine aisément ces récifs dans les airs dévolus à la Mère – à l’énoncé des personnages, le lecteur aura compris qu’il n’est pas ici question des rois de Perse au cinquième siècle avant Jésus-Christ.

Au fond, à l’exception de la magnificence du lieu, seule la prestation de la Hofkapelle München (sur instruments anciens) procure quelque joie. La tonicité de la fosse et le soin de la couleur font grand plaisir à l’oreille. L’on sait gré à Michael Hofstetter de mener avec la sensibilité adéquate la partie musicale.

BB