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Chroniques
atelier-concert avec le compositeur et le Quatuor Calder
Péter Eötvös | Correspondance, trois scènes pour quatuor à cordes
Retrouvons Péter Eötvös dans la petite Wiener Saal du Mozarteum pour un rendez-vous (qu’on dira pédagogique) sur une œuvre comptant vingt-quatre printemps. Ainsi, quelques semaines après la première britannique de son goldene Drache au Buxton Festival [lire notre chronique du 18 juillet 2016], qui suivait de deux mois la création mondiale de Senza sangue en Avignon [lire notre chronique du 15 mai 2016], retrouvons-nous le compositeur hongrois dont était chaleureusement applaudi samedi dernier Halleluja–Oratorium balbulum, toute nouvelle œuvre, à la Großes Festspielhaus [lire notre chronique du 30 juillet 2016].
Avant que les membres du Quatuor Calder prennent place au cœur de la scène, Eötvös s’installe côté jardin et parle d’une pièce de 1992, Correspondance. Il s’agit d’une commande du Schleswig-Holstein Musik Festival où elle vit le jour à l’été 1993, au Château de Wotersen, sous les archets des Arditti. D’emblée son auteur nous entraîne dans un atelier joueur, en toute simplicité et avec ce plaisir particulier de conteur qui fait l’homme. Au départ, l’échange de lettres entre un Mozart de vingt-deux ans qui vit à Paris et son père Leopold, resté ici, à Salzbourg. C’est ce qu’on appelle correspondance, en effet. Mais à un autre degré, Eötvös a imaginé d’inventer une sorte d’alphabet d’intervalles comme pour une traduction des mots en notes, s’attelant à rendre compte non seulement de la sonorité de la langue, de sa respiration et de son inflexion, mais encore des intentions des personnages, parfois avec un humour facétieux.
À l’entendre lire les lettres choisies pour cette conversation en musique, le public est conquis. On avait remarqué, à diverses occasions, que la voix d’Eötvös se modifiait sensiblement selon qu’il parlait en français, en hongrois, en allemand ou en anglais (contrairement à Boulez, par exemple, dont la petite voix sèche les articulait toute de même façon) : voilà qu’on le découvre extrêmement théâtral au point d’incarner vocalement Mozart père et Mozart fils avec une souriante distance. Trois Scènes structurent Correspondance. La première pose les personnages, l’enthousiasme du jeune homme et l’affection de Leopold. La dernière annonce la mort de la mère, Anna Maria, dont les funérailles eurent lieu à Paris, en l’église Saint-Eustache ; le ton change définitivement. Surtout qu’au centre, la Scène 2 est franchement drôle avec, par-delà les préoccupations professionnelles (Wolfgang obtiendra-t-il le poste d’organiste à Versailles ?...), les craintes de Leopold que son fils s’exposât au libertinage dont notre pays est alors perçu comme la capitale.
Cette trame clairement exposée, le compositeur invite les quartettistes à le rejoindre. Et de faire entrer dans sa fabrique, illustrant plus en détail l’alphabet d’intervalles de ce mini-opéra, ohne Worte, théâtre abstrait pour quatuor à cordes effectivement conçu à partir d’un livret. En illustrant d’exemples le procédé exposé plus tôt, il dit pendant que les musiciens la jouent la phrase correspondante, et s’arrête sur l’usage de la langue française dans certains passages des lettres. De fait, l’on perçoit une taquinerie affectueuse, toute tchekhovienne, dans les fluets chuintements des violons joués comme des violes baroques, gentille moquerie de la préciosité française qui contraste avec le Sprechgesang, en bonne et due forme, convoqué pour les phrases allemandes. Certes, le résultat est assez drôle, mais encore nous semble-t-il héritier d’une sensibilité à la langue, à sa prosodie, ses rythmes et ses couleurs, toujours présente dans la musique de Bartók – sachant par ailleurs à quel point Péter Eötvös, qui ne compose pas d’opéras en hongrois, aime à jouer avec la musicalité des langues étrangères.
Le Quatuor Calder (Benjamin Jacobson et Andrew Bulbrook aux violons, Jonathan Moerschel à l’alto, Eric Byers au violoncelle) conclut ce moment passionnant par l’interprétation de l’œuvre. Les protagonistes instrumentaux s’imposent immédiatement, la narration prend son envol – notons que le placement des musiciens déroge à l’habitude, l’alto siégeant ici à gauche et le premier violon face à lui, à droite (Wolfgang et Leopold s’écrivant, en fait), avec l’autre violon et le violoncelle au centre et en retrait. L’ultime mouvement gagne le terrain en grand désert tragique. Rappelons qu’il existe un enregistrement de Correspondance par les Pellegrini, paru chez BMC [lire notre critique du CD].
BB