Chroniques

par monique parmentier

Atys
tragédie en musique de Jean-Baptiste Lully

Opéra Comique, Paris
- 13 mai 2011
Pierre Grosbois photographie la reprise d'Atys de Lully à l'Opéra Comique, Paris
© pierre grosbois

En 1987, la recréation d’Atys, « l’opéra du Roy », donna au mouvement baroque au départ de la France un élan à la ferveur communicative, tant du point de vue des musiciens et des voix (dont il fut une pépinière) que du public. Tout a été dit et écrit sur le travail exceptionnel de beauté et d’intelligence que réalisèrent Jean-Marie Villégier et William Christie. Grâce à eux et à leurs partenaires, le tricentenaire de la mort de Lully fut un instant de grâce qui redonna au musicien du roi Soleil toute sa place dans le répertoire.

Aujourd’hui, grâce au mécène américain Ronald Stanton qui n’a jamais pu oublier ces moments précieux que la musique peut offrir dans une vie, cette production entrée dans la légende revoit le jour.

L’Opéra Comique, qui en 1987 venait de gagner son indépendance et trouvait sa voie avec Atys – celle des projets risqués et rares –, s’est associé à cette recréation. Et il fallait une sacrée audace pour oser penser qu’après vingt-cinq ans le public accepterait de se laisser séduire par une production certes mythique mais risquant d’avoir mal vieilli. Car au fond, comme le dit Jean-Marie Villégier, « une mise en scène est par définition éphémère ». Disons-le tout de suite, lors de la première, l’atemporalité de sa mise en scène, preuve s’il en est qu’il fait partie de ceux pour qui l’éphémère est éternel, a produit les mêmes effets sur tous ceux qui ne demandaient qu’à se laisser emporter par d’agréables songes.

Atys, c’est d’abord et avant tout une tragédie.
Celle d’un prince amoureux de la belle Sangaride qui lui rend ses sentiments, mais est promise au roi Célénus, grand ami du prince. La déesse Cybèle amoureuse d’Atys, aussi vindicative qu’une Médée ou une Phèdre, s’interpose. Elle est le destin inexorable qui broie les personnages. Le livret de Quinault est une splendeur et la musique de Lully offre des moments de beauté onirique et dramatique merveilleux. La cohérence entre la mise en scène de Villégier et la chorégraphie de la regrettée Francine Lancelot reprise avec une grande sensibilité par Béatrice Massin, permet de lier sans rupture drame et danse. Les costumes de Patrick Cauchetier, dont certains durent être recréés, sont d’une magnificence à couper le souffle.

La distribution de 2011 n’est peut-être pas tout à fait aussi homogène que celle de 1987, mais elle porte le poids d’une comparaison qui peut expliquer le trac qui dut gêner certains chanteurs. La maîtrise de cette langue si noble mais à la fluidité poétique est peut-être la plus grande difficulté à surmonter. Et à ce jeu-là, Stéphanie d’Oustrac, flamboyante et redoutable Cybèle, et Emmanuelle de Negri, sensible et vibrante Sangaride, sont les grandes triomphatrices de la soirée. À leurs côtés on retiendra la piquante Mélisse de Jaël Azzaretti, le Morphée séduisant de Cyril Auvity et le tendre et fidèle Idas de Marc Mauillon. N’oublions pas de citer les deux chanteurs présents sur la production d’origine : Bernard Delettré, poignant et hilarant dans le rôle du père de Sangaride, et Nicolas Rivenq dans celui de ce roi déchiré par l’amour et l’amitié pour les héros et une si humaine jalousie.

Dans le rôle d’Atys, le ténor Bernard Richter se montre vaillant, mais son phrasé n’est pas encore parfait. Lui qui n’est pas issu du monde baroque doit encore trouver ses marques pour être à l’aise dans ce rôle où se doivent conjuguer noblesse, fermeté et sensibilité. Ne doutons pas qu’il y parviendra après quelques représentations, car il a vraiment su, par instants, émouvoir.

S’ils manquent parfois de nuances, le chœur et l’orchestre des Arts Florissants sont dramatiquement très engagés. Probablement sont-ils gênés par la disposition retenue. Par manque de place dans la fosse, flûtes et hautbois se retrouvent dans les loges de côté. Quel dommage, car cela atténue forcément le moelleux qui assouplit et lie. Dans la scène du Sommeil, les musiciens sur scène, théorbes et flûtes, font preuve d’une suavité quasi hypnotisante. Il ne manque vraiment pas grand-chose pour parvenir à l’envoûtement : juste un meilleur rapport avec la fosse et un peu plus de maturité à cette reprise.

La conduite ferme et énergique de William Christie souligne parfois trop certains contrastes. Mais quelle allure et quelle passion vibre encore en lui, lorsqu’il dirige l’œuvre ! Il en émane une intense émotion peu ordinaire.

Certains diront qu’ils n’ont pas retrouvé ce soir leurs souvenirs de jeunesse, comme certaines personnalités partant avant la fin, mais le temps fuit sans retour... Il est bien dommage de ne pas rendre hommage à un spectacle si complet. Car les artistes, investis avec fougue comme tous ceux qui les accompagnent dans la renaissance de cette production, ont réellement pris un risque : celui de décevoir ou de ne pas séduire un nouveau public. Pourtant, la salle se lève pour applaudir un spectacle qui plus que jamais est un enchantement baroque si indispensable dans l’agitation actuelle. Alors, n’hésitez pas à redevenir des adolescents, à oublier que vous avez déjà vu et entendu, car Atys vous rendra heureux comme au premier jour.

MP