Chroniques

par gilles charlassier

Aurélien Dumont | Âpre Bryone
Pascale Criton | Plis – Naoki Sakata | Mirage song

Hélène Fauchère, Fanny Vicens, 2e2m, Pierre Roullier
Auditorium Marcel Landowski / CRR, Paris
- 3 mai 2018
création de la nouvelle version d'Âpre Bryone d’Aurélien Dumont
© philippe stirnweiss

L'engagement de l'Ensemble 2e2m en faveur de la création n'est plus à démontrer. Outre l'invitation d'un compositeur en résidence – cette année Aurélien Dumont (né en 1980), dont on a découvert Baïnes lors du concert inaugural en janvier [lire notre chronique du 16 janvier 2018], qui refermera le présent programme, intitulé Arrières mondes, avec une nouvelle version d'une pièce de 2009, Âpre Bryone –, la formation dirigée par Pierre Roullier propose une aide à l'écriture, sans discrimination d'âge ou d'expérience. Ainsi Pascale Criton (née en 1954) a-t-elle pu en bénéficier pour Plis.

L'auditeur se trouve immergé dans un jeu mêlant dramaturgie sonore et scénographique, avec l'appui de captations électroacoustiques distillées au fil des cinq séquences de cet opus. L'alliage de trombones en coulisses et de brumes électroniques ouvre un espace évocateur qui connaîtra diverses métamorphoses. La superposition des matériaux hétérogènes développe une esthétique du parasitage qui passe d'un frottement entre texture et pulsation percussive dans le deuxième numéro à un tissage mémoriel dans la troisième. Le quatrième séduit par sa prolifération de murmures, quand le dernier s'intéresse aux effets spéculaires, dans une démarche expérimentale qui n'oublie jamais le plaisir ludique des interprètes comme du mélomane.

Celui-ci peut retrouver ses marques académiques dans la construction de Mirage song, Concerto pour accordéon microtonal de Naoki Sakata (né en 1981), également le fruit d'une aide à la composition. Selon un contraste consacré, les deux mouvements extrêmes privilégient l'extraversion virtuose, tandis que le central, plus lent, explore davantage ce que l'on pourrait nommer expressivité affective. Le babil du soliste n'oublie pas une cadence étourdissante, ni un final en forme de mouvement perpétuel où la fluidité rythmique rencontre la mobilité microtonale, avec une belle maîtrise. Une appréciable synthèse entre la recherche sonore et un certain « classicisme », mise en valeur par Fanny Vicens [lire nos chroniques du 20 novembre 2017 et de Schrift, son CD].

Écrit sur cinq poèmes d’Emily Dickinson, Âpre Bryone d'Aurélien Dumont exhale une décantation qui témoigne du carrefour poétique où se place le musicien français. Le tissu orchestral porte le romantisme évanescent d'un texte dont le chant explore les confins instrumentaux de la technique lyrique. Plus que la précision du mot, c'est la sémantique de son écho acoustique qui élabore le voyage imaginaire, en cinq étapes. On reconnaît la finesse de la manière du compositeur, sensible à la fragile épure du discours, que restituent aussi bien les pupitres de 2e2m que la déclamation subtile d'Hélène Fauchère. Par un mimétisme formel opportun et discrètement calculé, l'incipit et la conclusion du concert se répondent dans des affinités parfois contraires : comme l'art culinaire, la création contemporaine relève aussi de la manière de dresser les mets, pour l'oreille et l'esprit.

GC