Chroniques

par richard letawe

autour d'Edna Stern
œuvres de Bach, Jadassohn et Schumann

Festival Juventus / Théâtre, Cambrai
- 5 juillet 2007
la jeune pianiste Edna Stern joue en formation chambriste au festival Juventus
© dr

Se poursuivant jusqu'au 14 juillet au Théâtre de Cambrai, le Festival Juventus fête dix-sept ans, dont dix de présence dans cette ville. L'année passée, il innovait en invitant le jeune orchestre Les Siècles, dirigé par François-Xavier Roth, qui accompagnait les lauréats dans plusieurs belles soirées de concerti. Cette fois, retour à la tradition : les lauréats Juventus, jeunes musiciens repérés et sélectionnés dans toute l'Europe, se produisent exclusivement dans des soirées de musique de chambre à la programmation variée, comportant bon nombre de raretés.

Ce concert se construit autour de la pianiste Edna Stern (lauréate 2001). On débute par la Sonate pour flûte et clavier en si mineur BWV 1030 de Johann Sebastian Bach, avec Alexandra Grot. Les musiciennes en donnent une version sage et patiente, de facture parfaitement classique. La flûtiste possède un jeu direct et peu ornementé, à la sonorité franche et pure, alors qu’élégamment la pianiste allège au maximum son toucher à la faveur d’une balance instrumentale satisfaisante. Inconsciemment, nos oreilles entendent ce qu'aurait pu donner un clavecin dans ce répertoire, mais le duo est quand même convaincant et équilibré.

La deuxième pièce est une rareté absolue, le Trio pour piano et cordes en ut mineur Op.59 n°3 de Salomon Jadassohn (1831-1902). Parfait inconnu aujourd'hui, cet artiste polonais (né à Wrocław) fit carrière à Leipzig, en tant qu'étudiant, puis comme professeur de piano et de composition au conservatoire. Parmi ses élèves, on peut citer Grieg, Delius, Busoni et Weingartner. Les critiques antisémites du XIXe siècle lui donnèrent la réputation d'un musicien sec et académique, mais ce Trio nous le fait bien plutôt percevoir comme un compositeur facétieux et plein d'esprit. Cet opus débute par un long Allegro de grand style, au romantisme puissant et généreux, mais sans surprise. Le deuxième mouvement, Romanze (Andante tranquillo), qui cache bien son jeu, commence doucement avec un beau thème chaleureux, très brahmsien, avant d’être conclu par un épisode vif et bondissant aux pizzicati pleins d'humour, en allure de finale. Mais le véritable finale est en fait un Allegro fort bref qui s'amorce doucement pour se terminer de façon frénétique et assez grotesque, comme un pied de nez aux canons académiques. Les partenaires d'Edna Stern sont ici Shirly Laub (lauréate 2001) – entre autres violoniste de l'ensemble Oxalys – et Julian Steckel au violoncelle (lauréat 2006).

La soirée se termine avec le rare Quatuor en mi bémol majeur pour piano et cordes Op.47 de Robert Schumann. Dans la même tonalité que le fameux Quintette Op.44, l'œuvre date de la même année, mais reste beaucoup moins donnée. C'est pourtant une page de valeur, équilibrée, au lyrisme typiquement schumannien, moins symphonique et moins abrupte que sa contemporaine. Pour l'interpréter, Edna Stern est accompagnée d'Alissa Margulis au violon (lauréate 2004), de Julian Steckel au violoncelle et d'Amalia Aubert, alto solo du Konzerthausorchester Berlin (mieux connu sous son ancienne appellation de Berliner Sinfonieorchester), qui n'est pas lauréate Juventus, mais vient jouer à titre amical. L'interprétation est marquée par la forte personnalité d'Alissa Margulis à laquelle la partition donne un rôle prépondérant. À ses partenaires elle transmet une fougue et un élan fort enthousiasmants. Elle connaît régulièrement des problèmes de justesse et ne cultive pas le beau son, mais sa façon franche d'attaquer et l'énergie qu'elle met dans ses phrasés rendent sa prestation captivante, notamment dans le beau mouvement lent où son lyrisme généreux fait merveille. Ses acolytes sont plus effacés, l'ensemble est parfois un peu décousu, mais la prestation reste de grande tenue et clôture en beauté ce concert au contenu original.

RL