Recherche
Chroniques
avant-gardes russes d’hier et d’aujourd’hui
œuvres de Filanovski, Obouhov, Oustvolskaïa et Voronov
Voilà quelque temps, nées respectivement aux Pays-Bas en 1965 et 1974, deux formations musicales fusionnaient, donnant naissance à l’Ensemble Asko|Schoenberg qui, sous la direction artistique de Reinbert de Leeuw, défend un large répertoire d’œuvres des XXe et XXIe siècle. Ce soir, c’est vers la Russie que nous emmène un programme éclectique, au point que la seconde partie de soirée – consacrée à cette femme au marteau que Chostakovitch aurait pour élève puis comme conseillère – n’a rien de commun avec la première, elle-même composée de quatre pièces hétérogènes – dont celles de Voronov et Filanovski, jeunes quarantenaires appartenant au Structural Resistance Group (StRes) qu’ils ont fondé il y a cinq ans, avec Dmitri Kourliandski et d’autres, pour promouvoir les musiques d’aujourd’hui.
Elève de Dmitri Smolsky et Krzysztof Meyer, marqué par le travail de Denissov, Valery Voronov (né en 1970) présente ici sa dernière création, au titre emprunté à Lili Marleen. Dans Aus dem stillen Raume, « les événements musicaux ne se distinguent pas avec netteté. Ils habitent avant tout l’émotion, ne forment pas d’image fixe (…), s’expriment plutôt en vagues contours et silhouettes ». Du coup, une grande douceur se dégage du piano joué sur les cordes, de vents formant des volutes et d’une percussion intimiste qui ne s’exclame qu’à la toute fin. Brillante et feutrée, subtile et sereine, cette pièce ne revendique rien, à l’instar d’un compositeur dans sa maturité.
À l’inverse de son confrère, Boris Filanovski (né en 1968) avoue rechercher « la dureté, la force, l’âpreté ». Proche du théâtre musical, Words & Spaces (2005) nous renvoie à Schwitters et Berio, avec un compositeur à la voix sonore, habitué à interpréter ses propres œuvres ou celles engageant son « corps hurlant » – ainsi, 4 states of same de Kourliandski, donné ce printemps par 2e2m. Au service des (dernières) paroles empruntées à Dutch Schultz – mafieux de la Yiddisch Connection, abattu par des rivaux en 1935, qui agonisa des heures durant -, vents, cuivres et contrebasse sont humbles et brutaux. Nulle nécessité intérieure n’anime ce gadget, à réserver, au mieux, à un rendez-vous « stripsody ».
Avec Quatre chansons sur des poèmes de Constantin Balmont (1913-1918/1994), Elmer Schönberger orchestre les pièces pour voix et piano de Nikolaï Obouhov (1892-1954). On redécouvre peu à peu le pionnier dodécaphoniste, l’inventeur électro-acoustique, et cet arrangement est une manière de faire entendre l’héritage de Scriabine comme l’annonce de Messiaen. Keren Motseri prête son soprano souple et tendrement expressif à cette baroquerie, à laquelle succède une transcription foisonnante de ruptures rythmiques : celle du pianistique Izstuplenie, peut-être un condensé du Livre de vie, Grand Œuvre aujourd’hui disparu. Portant les paroles du Christ, cinq voix de basses interviennent quelques mesures avant la fin.
Après les poèmes liturgiques de Balmont, « Prenez ceci… » venu ensuite, le triptyque Compositions de Galina Ustvolskaya (1919-2006) est une ultime manifestation du sacré – elle qui rêvait que ses œuvres, « animées d’un esprit religieux », soient jouées dans une église. Dona nobis pacem (écrit en 1971) invite les vibrations antagonistes du piccolo et du tuba à répondre à l’énergique de Leeuw au piano, parfois les poings fermés. Dies Irae (1973) lui est d’ailleurs dédié, où le dialogue s’engage avec huit contrebasses souvent à l’unisson, que viennent parfois couvrir (symboliquement ?) les coups de deux maillets sur une caisse en bois. Benedictus, qui venit (1975), enfin, réunit quatre flûtes coupantes, quatre bassons débonnaires derrière un piano moins déterminé qu’avant. Le silence extrême du public récompense les artistes avant leur ovation.
LB