Chroniques

par irma foletti

Béatrice et Bénédict
opéra d’Hector Berlioz

Opéra national de Lyon
- 12 décembre 2020
À Lyon, Damiano Michieletto met en scène "Béatrice et Bénédict" de Berlioz
© blandine soulage

Comme l’ensemble des théâtres ces temps-ci, l’Opéra national de Lyon doit différer l’accueil du public, mais il a décidé de filmer la première de Béatrice et Bénédict, en présence de très rares journalistes. En espérant des jours meilleurs, la captation vidéo devrait être diffusée au tout début de l’année 2021. La nouvelle production créée ici par Damiano Michieletto dévoile d’abord une grande boîte blanche où sont répartis de nombreux micros sur pied. Un technicien du son, casque sur les oreilles et magnétophone à bandes en bandoulière, règle la mise en place des choristes qui prennent place en ligne devant les micros, portant casque audio et masque sur le visage, avec papier à musique en main. Après le concept de théâtre dans le théâtre, sommes-nous passés à celui d’enregistrement dans l’enregistrement ? Mais rapidement, l’action, souvent décalée, enchaîne : muni d’un filet à papillons un figurant n’attrape rien, un singe entre en scène où il est apprivoisé par un Bénédict en tenue de camouflage. Dans leurs premières interventions, avec sonorisation pour les parties parlées, les solistes se tiennent également derrière leur micro, à quelques marches en contrebas du plateau.

Les jeunes Béatrice et Bénédict se chamaillent, parfois avec sensualité en échangeant assez rapidement un petit bisou. Le jeu est amusant, plaqué sur le lit matrimonial qu’on tient à la verticale. Lorsque les choses se gâtent à nouveau, Béatrice découpe le matelas en deux avec le couteau de Bénédict et les parties s’écartent en même temps que le plateau. Les choristes parviennent cette fois à attraper deux papillons que l’on met sous présentoirs. La fin du premier acte est ensuite marquée un peu plus tôt que Berlioz l’avait prévue, soit après l’air de Bénédict Je vais aimer. L’Acte II prouve une nouvelle fois les talents de Paolo Fantin, scénographe attitré de Michieletto [lire nos chroniques de Der ferne Klang, L’elisir d’amore, Don Pasquale, La donna del lago, Idomeneo, Samson et Dalila, La scala di seta, La bohème et Il barbiere di Siviglia], en dévoilant une végétation luxuriante magnifiquement éclairée par Alessandro Carletti. Un couple en tenue d’Adam et Ève déambule entre les essences tropicales, pendant que Béatrice et Ursule chantent leur sublime duo, le nocturne Nuit paisible – un moment de douceur élégiaque, même si l’on s’éloigne significativement du livret de Berlioz, lui-même assez distant de Much ado about nothing, l’original shakespearien. Le plateau métallique se lève progressivement à la verticale, toutes les plantes glissent et dégringolent au fond et la grille dressée permet plus tard au singe de réaliser de belles figures d’escalade. On passe des habits de noce au couple nu, les marie de force et les enferme chacun dans un brillant présentoir à taille humaine : le mariage est-il vraiment une prison, voire une prison dorée ? Posées en contrebas de la scène tout au long de la représentation, des lettres forment au final Bénédict l’homme marié.

En Béatrice, Michèle Losier fait entendre un timbre riche, des aigus puissants, accompagnés d’un vibrato présent et sous contrôle. Elle fait preuve, en particulier, d’un crescendo de puissance et d’un engagement grandissant dans son grand air du II [lire nos chroniques des Troyens, de Benvenuto Cellini, Castor et Pollux et Cendrillon]. Le ténor Julien Behr compose un Bénédict plus fougueux et vocalement homogène sur toute l’étendue de la tessiture, mis à part certaines extensions moins volumineuses vers les notes les plus aigües [lire nos chroniques de Die Entführung aus dem Serail, The Rake’s Progress, Fidelio, Don Giovanni, Alceste, Christophe Colomb et Acis and Galatea].

En Héro, le soprano Ilse Eerens n’atteint pas la même qualité de prononciation du texte. La voix possède une étoffe certaine mais se montre plus discrète dans le registre grave [lire nos chroniques de Der Prozess, Der Kreidekreis, Lucio Silla, Œdipe, Lady Sarashina et Moses und Aron]. On remarque aussi le riche instrument d’Ève-Maud Hubeaux (Ursule) en tessiture d’alto, instrument d’une grande puissance naturelle qu’elle veille à garder sous contrôle, par exemple dans Je vais d’un cœur aimant, le splendide trio féminin du II [lire nos chroniques de Don Carlos, Tristan und Isolde et Ariadne auf Naxos]. Nettement moins sollicité, le reste de la distribution est de qualité – le baryton Thomas Dolié (Claudio) et la basse Frédéric Caton (Don Pedro), ainsi que l’autre basse Ivan Thirion en Somarone qui cumule son rôle de maître de chapelle avec les activités de vrai-faux ingénieur du son précédemment décrites.

Dès les premières phrases musicales espiègles, voire guillerettes de l’Ouverture, on apprécie l’impeccable précision des musiciens, sous la baguette de Daniele Rustioni, chef principal de l’Opéra national de Lyon depuis plus de trois ans [lire nos chroniques de Falstaff, Cornu Luminis, Tosca, Чародейка, Shéhérazade, La selva incantata, War Requiem, La pietra del paragone, La traviata, La Juive, Il signor Bruschino et Simon Boccanegra]. La musique est vivante, pleine de couleurs, brillante lorsqu’il le faut. Le Chœur maison, techniquement sans aucun reproche, est moins intelligible que d’ordinaire, déficit d’articulation directement imputable au port du masque.

IF