Chroniques

par bertrand bolognesi

Bérénice
opéra d’Albéric Magnard

Opéra de Tours
- 4 avril 2014
Catherine Hunold et Jean-Sébastien Bou dans Bérénice d'Albéric Magnard à Tours
© françois berthon

Alors qu’en cette année 2014 est ravivé le souvenir de la Première Guerre mondiale, l’Opéra de Tours présente l’œuvre d’un compositeur disparu au tout début du conflit – en septembre 1914, en défendant contre les troupes allemandes son domaine de Baron (Oise). S’inspirant librement de l’histoire antique, Albéric Magnard conçoit lui-même de livret de sa Bérénice créée à l’Opéra Comique le 15 décembre 1911. Les trois actes ne connaîtront guère le succès, même si la critique du temps nous fait partager autant d’avis favorables que d’opinions dubitatives. Tombé aussitôt dans l’oubli, l’ouvrage retrouvait les honneurs par une version de concert, cinquante ans après sa première. Nouvel abandon, presque aussi long, quand le Festival de Radio France et Montpellier le présente il y a une vingtaine d’années, sous la direction de Marc Soustrot (en concert, encore). La véritable résurrection de Bérénice survint en février 2001 : on la doit au metteur en scène Charles Roubaud et à l’Opéra de Marseille – YouTube en offre le précieux enregistrement, placé sous la baguette ô combien enflammée de Gaetano Delogu.

À la tête de son Orchestre Symphonique Région Centre Tours, Jean-Yves Ossonce souffle un vent d’épopée amoureuse à l’Ouverture grand format du second opéra de Magnard (après Guercœur, 1900, qui ne verrait le jour qu’en 1931). Voilà quinze minutes rondement menées, altières et enlevées, ne dédaignant ni l’intériorité plus méditative ni la tourmente échevelée, jusqu’au thème large, proprement wagnérien. Le mariage heureux d’un dessin généreusement sensuel à une inflexion grandiloquente ne baissera pas la garde durant les quelques cent soixante minutes que compte la représentation. Tout juste sent-on par endroits une obligation de retenue, quelques faiblesses de fosse n’autorisant pas une expressivité plus affirmée. Le prélude de l’acte médian en impose d’emblée l’âpreté dramatique, qui raconte le dilemme politique de l’héritier de l’empire, de même que celui du III flamboie dans des volutes qu’aujourd’hui l’on dirait « en cinémascope » des hymnes à Vénus.

Ce grand amoureux que fut Magnard ne mâche pas ses effets quand il s’agit d’écrire pour la voix. Aussi sa musique exige-t-elle beaucoup des chanteurs. Le plateau tourangeau arbore un couple efficace. Jean-Sébastien Bou donne un Titus avantagé par une diction exemplaire et un impact timbrique inimitable – superbe « oublier près de toi l’Empire et l’univers », au II, d’un lyrisme affolant. Si l’aigu plafonne à plusieurs reprises, c’est que le rôle est écrit dans une tension de chaque instant, convoquant une vaillance sans relâche ; encore faut-il préciser qu’indiquée pour baryton, la partie de Titus fut créée par l’Heldentenor belge Laurent Swolfs – voilà qui laisse songeur… Par-delà ces considérations, l’artiste est remarquablement engagé dans un personnage de feu qui toujours cède à son cœur. En reine de Judée, nous retrouvons le timbre chaleureux et la vocalité épanouie de Catherine Hunold. Un rien embrumée dans le premier acte, la diction va se précisant jusqu’au troisième, somptueusement porté. Une onctuosité confondante fait la signature du soprano dramatique, parfaitement convaincant.

Deux « seconds » escortent de leur lucidité les héros, faisant observer une symétrie strictement vérifiée à la dramaturgie. Ainsi la nourrice de Bérénice prédit-elle un avenir malheureux à ses amours (terrible « c’eut mieux valu ») quand le conseiller de Vespasien tente de tuer le sentiment de Titus. Avec un placement vocal oscillant, la Lia de Nona Javakhidze laisse sur sa faim. En revanche, Antoine Garcin est un Mucien de belle facture, stable et robuste.

Avec la complicité de Marc Delamézière pour les lumières et de Nathalie Holt pour les décors, Alain Garichot concentre la production en un écrin des plus stylisés qui délimite clairement les espaces du drame. Une colonne et un court escalier sur un immuable ciel méditerranéen dessine les quartiers de la reine (I), un buste et un trône suffisent à évoquer l’Empire (II) quand une voilure symbolise la flotte de Bérénice, exilée du Lac du Tendre (III). À peine si la veste militaire du jeune empereur suggère-t-elle les rumeurs de la Grande Guerre à venir (II), sans actualisation plus manifeste – costumes de Claude Masson. À travers une direction d’acteurs soignée, la mise en scène s’attelle aux échanges passionnés (« à bientôt »), à la densité parfois saisissante des dialogues (« l’Empire, tombeau de notre amour »), à l’audace des évocations (« quand son viril désir me pénètre et m’inonde »).

BB