Chroniques

par marc develey

Bach | Messe en si mineur BWV 232
Les Éléments, Café Zimmermann, Joël Suhubiette

Les Grands Concerts Sacrés / Église Saint-Roch, Paris
- 26 avril 2006
Joël Suhubiette joue la Messe en si mineur BWV 232 de Bach
© françois passerini

On dira sans doute de cette soirée qu'elle nous permet une nouvelle fois d'admirer les fresques de l'Église Saint-Roch. On ajoutera sans doute qu'à l'indigeste de certaines images s'ajoute l'impossible d'une acoustique incompatible avec une quelconque ligne de musique baroque, fût-elle religieuse – nous ne dirons pas « liturgique » : si ce peut être un problème, là n'est pas le propos.

Il est possible que la musique ait été au rendez-vous. Comment le savoir ? Et comment, à l'heure de l'écrire, faire l'impasse sur la rage qui nous prit lorsque nous avons tôt réalisé qu'il nous eût été impossible de distinguer, dans la bouillie sonore à nous parvenir, le travail du tâcheron de celui du plus patient ciseleur ?

Et pourtant…
Il nous a bien semblé que les chœurs et l'orchestre, sous la direction de Joël Suhubiette, avaient un travail de qualité à présenter. Si les cors ou violoncelles ont pu se montrer faibles ou peu agréablement justes, on pense cependant au bel ensemble de trompettes de l’Et in terra pax, à l'intensité et à l'homogénéité du chœur, aux vocalises liquides du Gratias ou à l'articulation souvent élégante (Laudamus Te) et souple (Qui tollis peccata mundi) de la pâte orchestrale (belle lancinance aussi de l'ostinato du Crucifixus).

Comment dire, cependant, si ce que nous avons cru entendre par ailleurs d'un excès de préciosité – sons très, voire trop tirés aux cordes (Agnus Dei), legati coulants (Kyrie et Christe Eleison), articulation parfois traînante (Laudamus Te), convenue (les flûtes du Domine Deus), pâteuse (les cors du Quoniam) ou larmoyante (Et incarnatus est), quelques brutalités (Domine Deus), encore – tenait au travail de l'orchestre ou au rendu de l'acoustique ? Reste certain que tout l'art du contrepoint, porté par l'œuvre à un grand degré de complexité, fut emporté dans les résonances du lieu, sans que puisse en contrepartie s'installer un climat de ferveur qui eut au moins sauvé l'intention musicale, sinon la forme. Entrées en imitations et lacis des contrepoints : effacés sous une masse sonore que l'on devinait bien plus travaillée que ce que l'on put en percevoir.

Les voix, sans doute, tirent mieux leur épingle de ce jeu de cache-cache du son avec lui-même. Quelque chose de capiteux dans la voix d'Anne Magouët, et le timbre élégant, peut-être moins convainquant dans le registre grave, de Thomas Bauer savent ramener notre écoute à moins d'irritation. Peut-être Stephan Van Dyck nous paraît-il un peu précieux en son Benedictus. Sans doute encore Pascal Bertin nous sert-il presque systématiquement une projection nasillarde et acide, à tout le moins dérangeante dans ses duos avec Anne Magouët ; toujours est-il qu'il se ressaisit (miraculeusement ?...) sur l'Agnus Dei qui à lui seul pourrait presque racheter cette fort décevante soirée : rondeur du timbre, clarté de la projection, tendresse, recueillement, intensité de la supplique – superbe ! On se prend à regretter qu'il n'ait trouvé le chemin de ce chant avant la toute fin du concert.

MD