Chroniques

par david verdier

Bach par Amandine Beyer
sonates et partitas, concert 1

Théâtre des Abbesses, Paris
- 16 février 2013
la violoniste baroque amandine Beyer joue Bach au Théâtre des Abbesses (Paris)
© dr

C'est une fin d'après-midi tranquille. On se promène un peu Place des Abbesses avant de passer le seuil du théâtre du même nom, abandonnant touristes et bruits de rue pour le confort feutré de ses lignes douces.

Sur le feuillet de programme, plusieurs raisons de se réjouir. Bach tout d'abord, en lettre capitales rouges. Intégrale des sonates et partitas pour violon seul, comment résister ? L'enjeu est immense, la confrontation multiple et intimidante avec une œuvre magistrale et souveraine. Confrontation avec des générations d'interprètes, passage obligé enfin de toute carrière de soliste qui se respecte. Le public est là, nombreux – impossible de ne pas penser qu'il n'a pas entendu des centaines, des milliers de fois ces œuvres parmi les plus belles écrites par Bach et sans doute aussi parmi les plus mystérieuses quant à leur origine. Dans le texte de présentation de son enregistrement paru chez Zig-Zag Territoires, Amandine Beyer signale ce lapsus inconscient (Sei solo : « tu es seul ») qui multiplie à l'envi la découverte d’un Bach épuré, débarrassé au sens propre et figuré de la pression romantisante de l'archet.

Contrairement à d'autres interprètes (notamment Christian Tetzlaff), elle opte pour une répartition de son intégrale en deux concerts, à une semaine d'intervalle. Pour ce premier volet, le choix se porte sur les Sonate en sol mineur n°1 BWV 1001, Partita en ré mineur n°2 BWV 1004 et Sonate en ut majeur n°3 BWV 1005.

Dès les premières mesures, il faut rapidement déchanter et oublier les échos charmeurs du studio. L'archet est léger mais d'une conduite trop superficielle pour éviter les bulles d'air qui se forment à la surface des bariolages où manquent cruellement certaines notes de passage. Un vibrato retenu, presque janséniste, ne permet pas de corriger les nombreuses fautes d'intonation qui se bousculent et empêchent la continuité de l'écoute. Attaqué sur un tempo volontaire, le sujet de la Fugue se délite progressivement lorsque le contrepoint se fait plus resserré et redoutable. Les flèches gothiques du Presto semblent trembler dangereusement sous le feu roulant des approximations, malgré une indéniable envie d'aller au bout des phrases et se libérer de ce flux encombrant. Le sourire est là, un peu gêné comme pour excuser les doigts qui trébuchent, les changements de positions qui loupent systématiquement leur cible.

La redoutable deuxième Partita se présente au centre du récital. Les ruptures rythmiques paires-impaires de l'Allemande (triolets-quadruples croches, par exemple) sont systématiquement lissées par des rondeurs d'archet qui font s'enrouler la fin d'une phrase au début de la suivante. Dans la Courante, les attaques sont fondues en une ondulation continue qui préfère au marquage de la levée le chant expressif de la ligne. La liberté de la Sarabande répond parfaitement à cet horizon d'attente qui fluctue au gré de l'improvisation et des ritardando. Les problèmes de justesse entachent le plaisir définitif qu'on pourrait y prendre, malgré le chatoiement du timbre et la souplesse remarquable de la conduite d'archet, tout entière dans le poignet. Les complications de la Gigue, juste avant la reprise, manquent à tout moment de rompre un équilibre rendu bien précaire par un tempo un peu hasardeux, mais tel un chat elle finit par retomber sur ses pieds, au grand soulagement de la salle.

Moment d'humour juste avant d'entamer la Chaconne : une invitation aux tousseurs de se libérer complètement les bronches une bonne fois pour toutes. L'édifice s'élève alors, timidement puis avec plus d'assurance lorsque surviennent les premières difficultés. La pression accumulée du contrepoint central est difficile à supporter sans dommages pour la conduite harmonique. Juste avant l'ataraxie du choral en ré majeur, la méditation des arpèges passe comme une fulgurance dans un ciel chargé.

Moins exigeante sur le strict plan de la virtuosité, la Sonate en ut majeur n°3 BWV 1005 sonne plus commodément, en particulier l'Adagio initial avec ce motif roulé et lancinant qui donne toute sa structure à la pièce. Les accords arpégés échappent à la grisaille du tactus qu'on y entend souvent. La Fugue manque de cette carnation nécessaire à la faire tenir d'aplomb. Écueil récurrent, la justesse vient malheureusement briser l'élan qui commençait à poindre. L'équilibre harmonique central est à ce point brouillé et périlleux que la violoniste est obligée de remettre à plat toute la structure pour pouvoir continuer à bâtir son contrepoint. Il faut tout le poids du Largo pour retrouver le chemin vers une spiritualité bien capricieuse. La volubilité circulaire de l'Allegro assai monte jusqu'à l'extrême aigu avant de retomber avec grâce et retenue. Le facile Prélude (adagio) de Nicola Matteis ne parvient pas à dissiper le sentiment d'inabouti qui plane en nous à la sortie du récital.

On attend la seconde partie.

DV