Chroniques

par vincent guillemin

Barbara Hannigan et Simon Rattle
Lucerne Festival Academy Choir and Orchestra

création du Silence des sirènes d’Unsuk Chin
Lucerne Festival / Kultur und Kongresszentrum, Lucerne
- 23 août 2014
Simon Rattle à la création du Silence des sirènes d’Unsuk Chin
© priska ketterer | lucerne festival

Entre la création d’une nouvelle œuvre et l’interprétation d’un « classique du XXe siècle », Simon Rattle ajoute au sixième concert symphonique de l’édition estivale du Lucerne Festival 2014 son éclectisme afin de favoriser la compréhension des pièces et d’améliorer la prestation Lucerne Festival Academy Orchestra. D’abord Rondes de Printemps, troisième des Images de Claude Debussy, avant de faire découvrir Le silence des sirènes, comme pour amener le public vers une ambiance particulière. Au dernier moment encore, il décide de jouer Fanfare pour précéder La Péri de Paul Dukas, afin de chauffer à blanc les cuivres du jeune effectif orchestral.

Servie par cette aisance et la dynamique propres au chef anglais, la très courte Fanfare plonge instantanément la salle dans un univers féérique. L’orchestre sonne parfaitement, à un niveau surprenant même pour des cors et trombones tant mis à mal dès les premières secondes. Immédiatement enchaîné, Rondes de Printemps altère le climat vers plus de mystique, bien qu’il ne faille pas chercher ici un Debussy « expressionniste » mais plutôt expressif et coloré. Là encore le Lucerne Festival Academy Orchestra convainc, même s’il semble parfois chercher plus de ressources.

Vient ensuite une commande du Lucerne Festival, donnée ce soir en première mondiale : Le silence des sirènes pour soprano et orchestre d’Unsuk Chin [lire nos chroniques du 10 janvier 2012, du 15 avril 2011 et du 14 juin 2010]. Barbara Hannigan commence derrière le parterre et descend toute l’allée jusqu’à la scène, rejoignant ses partenaires. Elle use d’un troublant jeu d’actrice et fait preuve, une fois de plus, d’une impressionnante capacité à gérer des intervalles redoutables, effaçant comme par magie quelques difficultés à l’extrême aigu. Inspiré du chapitre XII de L’Odyssée (Homère) et du onzième d’Ulysse (Joyce), ce nouvel opus d’environ quinze minutes révèle ce que de son maître György Ligeti a intégré la compositrice sud-coréenne ; sa facture l’éloigne des penchants minimalistes du Concerto pour violon, créé parViviane Hagner et Kent Nagano en 2002. Toutefois, Chin ne trouve de ton personnel que dans les dernières minutes, lorsque les cordes s’enfoncent dans les limbes océaniques sur l’effacement progressif de la voix, abandonnant dans le silence la sirène Hannigan qui se débat jusqu’au bout en cherchant sa respiration et son chant sans qu’aucun son ne sorte plus.

En seconde partie, Coro de Berio scelle l’aboutissement de la relation entre le chef, l’orchestre et le chœur de l’Académie de Lucerne. Créée en 1976 à Donaueschingen dans sa première version en vingt-neuf parties, puis à Graz l’année suivante dans sa mouture complète (trente-et-une partie) par Leif Segerstam qui la joue également à Lucerne et à Salzburg dès 1977 (le CD du concert existe chez Orfeo), cette pièce intègre à la fois des chants du monde (indiens, polynésiens, africains, etc.) et un poème de Pablo Neruda, reprit partiellement à plusieurs reprises avant d’être chanté intégralement pendant le final. Dans l’orchestre, chaque instrumentiste est doublé par un chanteur à ses côtés, debout pour les parties solistes et assis dans les ensembles choraux. Dès l’introduction, tant le piano que la première voix féminine montre ce que nous allons entendre pendant près d’une heure : une intégration totale des quarante choristes et des quarante-quatre musiciens, Rattle maîtrisant intégralement l’ensemble. La grande attention des chanteurs, la précision de leurs interventions et la netteté de la diction rappellent des groupes beaucoup plus expérimentés, comme les London Voices [lire notre chronique du 6 juin 2013].

Malgré le caractère païen (ou profane) de Coro, le chef semble souvent dériver vers une mystique plus chrétienne. Particulièrement touchant et presque entièrement a cappella, le final fait glisser la salle vers une émotion expansive lors des applaudissements, rapidement interrompue par Simon Rattle qui, en ultime regard à toute cette « passion without religion », offre un Motet de Purcell.

VG