Chroniques

par bertrand bolognesi

Barbara Strozzi, virtuosissima cantatrice
Cappella Mediterranea dirigée par Leonardo García Alarcón

Festival d'Ambronay / Abbatiale
- 10 octobre 2008
Leonardo García Alarcón dirige sa Cappella Mediterranea à Ambronay
© patoch

Pari tenu, pari gagné pour la vingt-neuvième édition du Festival d’Ambronay qui, plutôt que de se consacrer à un compositeur, une nation ou un genre, célèbre les femmes à travers une trentaine de concerts. Femmes, le génie interdit ?, sans oublier le point d’interrogation en fin de titre… Car enfin, du plus honnête qu’on puisse se considérer soi-même, de quel œil regarde-t-on une femme qui écrit de la musique ?

On ne se pose pas la question lorsqu’il s’agit d’une musicienne contemporaine, étant implicitement admis que notre temps n’aurait pas de règles, d’interdits, voire de préjugés – vaste sujet dont il y aurait à discuter plus longtemps qu’on le prétend. Mais qu’en fut-il au XVIIe siècle ? Qu’en sera-t-il encore au XIXe (pensons à Fanny Mendelssohn) et, enfin, qu’en est-il du mélomane d’aujourd’hui à qui l’on parle de ces musiciennes d’autrefois, compositeures ou compositrices, comme il vous plaira (comme elles vous plairont) ? Outre les créatrices, ce mois de découvertes évoque également les inspiratrices, muses incarnées ou femmes de légendes, sans oublier les interprètes féminines

Ainsi de ce week-end de clôture, ouvert vendredi par les madrigaux de Barbara Strozzi, connue d’abord comme chanteuse, dans le second tiers du XVIIe siècle, puis comme compositrice. À la tête de sa Cappella Mediterranea, le fougueux Leonardo García Alarcón livre une interprétation généreuse et inspirée des œuvres de l’Italienne, mises en regard par des pages de Monteverdi et de D’India. Lorsque ce concert fut programmé, le chef, continuiste et claviériste argentin construisit un menu autour d’une filiation qui s’avéra inexistante entre Francesco Cavalli et son élève Strozzi. Or, Cavalli est plus un compositeur d’opéras que de madrigaux : « en travaillant, confie le maître d’œuvre, la parenté entre le père et la fille se révéla nettement moins évidente qu’entre la petite-fille et le grand-père, autrement dit entre Strozzi et Monteverdi ».

Avec la complicité des soprani Céline Scheen et Mariana Flores, de la basse Matteo Belloto, du ténor Jaime Caicompai et du contreténor Fabián Schofrin, la Cappella Mediterranea souligne la potentielle théâtralité des madrigaux de Strozzi. L’on s’interroge toutefois quant à la surenchère systématique des accents douloureux lorsque l’amour est déçu, inaccessible ou ingrat. À l’époque, la notion de souffrance dans la sphère amoureuse n’est certainement pas la même qu’aujourd’hui. Toute la première partie du concert souffre d’un relatif excès en ce sens, passant à côté d’une dimension spirituelle de l’amour qui, précisément héritée de Monteverdi, était encore d’actualité. En revanche, l’interprétation du Voglio voglio voglio morire, squelettique chaconne où la voix de Mariana Flores s’échine dans ses passions avec une expressivité exacerbée, atteint une démesure dramatique extraordinaire : celle de la volupté du martyre. Sublimation de la jouissance contrariée, en vogue aujourd’hui comme hier, elle atteint le spirituel, peut-être par des routes secrètement infernales.

En résidence au Centre culturel de rencontre d’Ambronay, la Cappella Mediterranea poursuit une collaboration amorcée depuis plusieurs années déjà. Outre d’avoir souvent apprécié les talents de continuiste de Leonardo García Alarcón dans les concerts de Gabriel Garrido et d’Elyma, l’on se souvient du récital qu’il donnait à la Tour Dauphine avec le gambiste Andrea de Carlo [lire notre chronique du 12 octobre 2003]. L’an dernier, il ressuscitait les motets et madrigaux de Peter Philips, tel qu’en témoigne un fort beau CD paru aux Éditions Ambronay tout récemment.

BB