Chroniques

par bertrand bolognesi

Bartók, Debussy et Prokofiev
Orchestre de Paris dirigé par Paavo Järvi

Salle Pleyel, Paris
- 16 octobre 2008
le chef estonien Paavo Järvi, bientôt patron de l'Orchestre de Paris
© dr

Continuant de faire plus ample connaissance avec les musiciens de l'Orchestre de Paris qu’en succédant à Christoph Eschenbach il dirigera pleinement à partir de septembre 2010, le chef estonien Paavo Järvi ouvre la soirée par un chef-d'œuvre du répertoire français. Après le tendre solo introductif de Vincent Lucas à la flûte, le tutti fait une entrée toute douceur et sensualité dans ce Prélude à l'après-midi d'un faune imaginé par Debussy dans la dernière décennie du XIXe siècle, après une lecture du poème presque trentenaire de Mallarmé. Cette exécution flatte l'écoute sans trop tenir l'auditeur par la main. L'emphase lyrique s'y distille peu à peu, comme le désir, laissant opérer la magie de chaque trait solistique (flûte, clarinette, violon, harpe, etc.) sans les trop appuyer, tissant avec la complicité des harpes une moire générale d'un bel équilibre.

« Je ne m'attendais pas à cela. La musique évoque l'émotion de mon poème et dépeint le fond du tableau dans les teintes plus vives qu'aucune couleur n'aurait pu rendre », dit Mallarmé en découvrant l'œuvre. De même le chef sait-il subtilement convoquer des demi-teintes qu'il ne démontre jamais.

Au programme d’ensuite faire un bond dans le temps qui le projette dans les dernières années de paix avant le cataclysme, puisque Sergueï Prokofiev achevait son Concerto pour violon en sol mineur Op.63 n°2 en 1935, à Paris. Aux côtés de ses camarades, c'est ici l'un des deux premiers violons solos de l'Orchestre de Paris qui tient la partie soliste, Roland Daugareil, ouvrant l'Allegro moderato dans une âpreté interrogative. Le mouvement, dont on salue l'absolue précision de mise en place, paraît toutefois un rien circonscrit. D'une clarté salutaire s'affirme la longue mélodie de l'Andante assai dont l'accompagnement bénéficie une exemplaire exactitude. Quoiqu'irréprochablement articulé, le dernier épisode manque de mordant.

Avec le Concerto pour orchestre Sz116 de Béla Bartók, les oreilles se réveillent ! Dès les premiers pas de l'Andante non troppo, les voilà happées par la fougue du Hongrois – on sait déjà que l'exécution marquera la soirée. Contraste, maître-mot bartokien, et lyrisme (celui tout symbolique du Château de Barbe-Bleue) sont au rendez-vous. Ne heurtant rien, le chef satisfait aux exigences de la partition tout en révélant la précision de chaque trait. Ainsi du duo de bassons qui fait florès dans le deuxième mouvement, par exemple. Plus que musclée, l'Elegia centrale semble fibreuse, tandis que l'Intermezzo jamais ne force le trait. Si les cuivres introductifs du Finale manquent d'autorité, la folle effervescence des cordes emporte l'enthousiasme. Paavo Järvi impose une vision qui, sans nuire aux oppositions attendues, vérifie le même profond moelleux dans l'ensemble, au-delà même d'une vigueur que torcine la baguette. De fait, les couleurs s'y lévigent dans le raffinement d'alliages timbriques jamais maniérés.

BB