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Chroniques
Bartók et Debussy par le Philharmonia Orchestra
Christian Tetzlaff et Esa-Pekka Salonen
Deux mois après son premier concert [lire notre chronique du 15 novembre 2011], Esa-Pekka Salonen est de retour dans la version réduite du cycle Bartók donné à Londres la saison passée. La Suite de danses Sz.77 ouvre le programme dans une spirale virtuose moins fiévreuse qu'effervescente. Aux intentions du chef le Philharmonia Orchestra répond avec une palette de jeu extrêmement précise et riche en couleurs. Les glissandi narquois y côtoient des rebonds col legno parfaitement en place. Les traits fulminants joués en cinquième position sur la corde de sol dégagent une énergie vertigineuse, compensée par des tutti en forme de violents uppercuts. Paradoxalement, dans cette vitalité véhémente il y a une forme d'expressivité assez lisse, jamais trop sanguine ou animale.
Le Concerto pour violon n°2 Sz.112 lève toute réserve, en grande partie grâce à l'interprétation impeccable et sans compromis de Christian Tetzlaff [photo]. Dès l'entame, la morsure de l'archet en dit long sur son état d'esprit. Le vibrato est sain, jamais trop « folklorisant », parfaitement alterné avec un détaché véloce et ciselé dans les traits staccato. La préoccupation n'est pas la nostalgie du chant mais la glorification d'un phrasé superbement ciselé et précis. L'Andante tranquillo se reflète avec de faux airs d'Adagietto mahlérien, l'archet à la corde quasiment sans vibrato. Tetzlaff nous tient à l'écart d'une frontière de l'intime réelle mais infranchissable. L'Allegro molto fait défiler à peu près tout ce dont un violoniste est capable en matière de technique d'archet (spiccato, rebonds à la pointe, etc.). Ce furieux étalage est servi par un orchestre mêlant comme jamais l'acier et le velours. En bis, un pêché d'orgueil ou une erreur de timing : l'Allemande de la première Partita (Bach) jouée à chaud, encore imprégnée par le déchaînement qui précédait et pas vraiment idiomatique.
Claude Debussy est l'invité surprise de ce programme Bartók.
À aucun moment, ce Prélude à l’après-midi d’un faune ne laisse penser qu'il s'agit là d'une révolution harmonique, conquête d'un timbre inouï et transgressif. L’air de ne pas y toucher, Salonen y déploie de très sophistiqués enchaînements de phrases qui se noient dans la désuétude d'un pastel hors d'âge. Il ne se passe rien d'autre qu'une lente et morne démonstration dans laquelle le faune se mue en Narcisse et s'écoute diriger.
Rien de moins inattendue que cette Suite du Mandarin merveilleux (ballet Sz.73) déboulant dans un déferlement de notes à flux tendu, archets à la corde et cuivres pimpants. Le choix de la version abrégée ajoute à la fureur dynamique en interrompant l'œuvre avant la mort du Mandarin. La saturation de l'espace sonore s'organise sans qu'aucun instrument ne couvre l'autre, ce qui n'est pas un mince exploit dans une telle partition. Ce coup d'éclat (permanent ?) est extrêmement spectaculaire, même s'il ne séduit pas fondamentalement, balayé par sa propre onde de choc – dégât collatéral à mettre sur le compte d'une direction géniale et irritante.
En guise d'étouffe-chrétien, un dernier Galop de Stravinsky – d'un burlesque délibéré et n'ajoutant rien de décisif à une soirée déjà peu avare d’émotions.
DV