Chroniques

par bertrand bolognesi

Bartókiades I-1
Dénes Várjon et David Grimal

Opéra de Dijon / Auditorium
- 18 novembre 2011
Csalán utca, Budapest (2011) : Bartók, photo de Bertrand Bolognesi ©
© bertrand bolognesi | csalán utca, bartók piano portrait

Des saisons musicales françaises, c’est assurément celle de l’Opéra de Dijon qui, décidément, sort des sentiers battus, ose prendre le risque de faire entendre d’autres répertoires. Ces dernières années déjà, la programmation bourguignonne se révélait passionnante, à plus d’un titre. 2011/2012 se développe en trois axes qu’elle croise judicieusement. Ainsi le mélomane y voyage-t-il dans l’Italie baroque de Venise à Naples en passant par Rome, tout en s’installant pour un an à Budapest. Brillamment ouvert par l’Agrippina de Händel [lire notre chronique du 8 octobre 2011], le menu se poursuivait avec la Philharmonie Hongroise et Zoltán Kocsis, puis avec le Chamber Orchestra of Europe présentant des pages de Ligeti et de Bartók, enfin, en amont du concert parisien [lire notre chronique du 15 novembre 2011], par la tournée bartókienne du Philharmonia de Londres. Trois axes, disions-nous, à juste titre puisqu’assez naturellement l’œuvre de Ferenc Liszt tisse un lien subtil entre les deux énoncés, comme l’aura sans doute démontré le programme de Jos van Immerseel et de l’excellent baryton Thomas Bauer [lire notre chronique du 22 janvier 2010], à la fin du mois dernier.

Nouvelle étape de ce passionnant parcours hongrois, le premier volet des Bartókiades était lancé avant-hier soir par People, spectacle pour deux danseurs et deux musiciens conçu par la Compagnie Lanabel sur des pièces de Kurtág, Kodály et Bartók.

Ce vendredi soir, c’est un concert du pianiste hongrois Dénes Várjon et du violoniste David Grimal (en résidence in loco avec son orchestre Les Dissonances) qui ouvre trois jours dédiés à Béla Bartók. Le parcours commence par la suite En plein air Sz.81 de 1926. Dans la relative percussivité d’Avec tambours et fifres, Várjon affirme un précieux travail de couleurs, confirmé par la Barcarolle suivante, dans une sonorité debussyste. Le chant s’en détache discrètement mais sûrement. Musettes, sorte de « tout-ornemental »,invite à l’invention de timbres, ce que l’interprète réussit remarquablement, grâce à une grande précision des différentes frappes qu’il met au service de son imagination. Musiques nocturnes bénéficie de ce sens aigu du paysage, dans la nuit étoilée de Van Gogh – à moins qu’il s’agisse de ces incroyables ciels violacés des couchants d’octobre dessus le virage du Danube ? Tendre, presque nostalgique (du jour d’avant comme de celui d’après), le chant surgit bientôt d’un gruppetto obstiné. Deux thèmes s’enchevêtrent dans la brume d’un retour de fête. La chasse contraste sensiblement ces délicatesses, le pianiste faisant naître cependant des chocs de cette course-poursuite une polyphonie inattendue.

Retour à 1908, avec l’Élégie Sz.41 écrite par un compositeur de vingt-sept ans qui regarde encore du côté de Liszt, comme en témoignent l’errance d’une mélodie dépouillée et le caractère par moments rhapsode, bien que l’harmonie, différemment audacieuse, prenne un tour personnel. Après une exécution à la véhémence scriabinienne de cet opus, Dénes Várjon enchaîne neuf des quinze Chants paysans hongrois Sz.71, à situer dans l’inspiration populaire, très importante. Ainsi propose-t-il plusieurs aspects de la facture bartókienne. Son interprétation virevolte d’élégance dans un monde à la délicatesse robuste qu’il éclaire d’une dynamique choisie.

Après l’entracte, nous abordons la Sonate pour violon et piano n°1 Sz.75 (1921). À la rondeur de l’introduction pianistique s’oppose la raucité emportée du violon. Passée une entrée en matière volontairement contrariée d’apparence, les timbres se retrouvent. David Grimal cisèle la nuance, osant une certaine hargne mais encore des tendretés indicibles dans l’Allegro appassionato. Lorsque la partition inverse les rôles convenus, le piano élève le chant. Le long récitatif de violon de l’Adagio est comme pris dans le gel, souvenir de Bach qui prête l’oreille à Debussy. Sur le glas du clavier, le son de Grimal se décuple. Enfin, la danse sauvage de l’Allegro final se révèle barbare. Mais, avec des pizz’ exsangues et des aigus imprécis dans la reprise, le violon n’atteint pas ses promesses.

En bis, les artistes offrent la Rhapsodie n°1 Sz.86, avançant le thème de la première des Danses populaires roumaines. La présence du violon s’y révèle intense, d’une expressive âpreté, tandis que le piano respire en grande souplesse. Le second thème jouit de la douceur requise, une douceur qui fera place à l’invective dans le retour de la danse. Le second mouvement gagne une effervescence formidable que magnifie un lyrisme énergique, jusqu’à la citation presque ritualisée du thème de danse initial. David Grimal et Dénes Várjon signent une interprétation pleine de relief qui conclut idéalement cette esquisse d’un portrait de Bartók.

BB