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Chroniques
Bartókiades I-2, suite
David Grimal et Miklós Perényi
Une heure après la fin d’un tel moment [lire notre chronique du même jour] – le temps de déguster un verre de Pernand-Vergelesses en révisant ses acquis quant à la vie de Bartók grâce à l’instructive exposition présentée par l’Institut Hongrois de Paris –, il peut être malaisé à tout musicien de se produire, fut-il grand. Après une introduction qui emprunte à Bach, David Grimal s’engage dans la Ciaccona de la Sonate pour violon solo Sz.117, dernière œuvre achevée de Bartók, en 1944 – il vit aux USA, ayant quitté la Hongrie compromise de Horthy huit mois après le décès de sa mère –, qui lui fut commandée par Menuhin. La lecture de ce soir s’opère dans une expressivité prudente, un jeu concentré, voire timoré. Dans la Fugue, Grimal réalise un fin dialogue avec lui-même, comme s’il disposait de plusieurs instruments. Mais attention, beaucoup de passages accusent des approximations ; cela dit, l’œuvre est redoutable, et cet artiste intervient beaucoup pendant le mini-festival dijonnais. Pudiquement émouvant, son jeu concocte de savantes demi-teintes au troisième mouvement, imprimant un pp des plus délicats aux doubles-cordes. Toutefois, le Presto ne prend pas, le violoniste est pris de cours, dépassé par la virtuosité exigée. Sans doute était-il ambitieux de vouloir honorer dans le même temps trois opus bartókiens difficiles [lire notre chronique de la veille].
Enfin, le violoncelliste Miklós Perényi [photo] gagne la scène d’où il captivera l’auditoire tout au long des quatre pages inscrites au programme de son récital. Un an après son retour d’Italie où il approcha de plus près une tradition qui le fascinait, Ferenc Farkas compose sa Sonate. En 1932, d’autres plumes hongroises s’appropriaient les formes classiques de la musique occidentale européenne, comme on le constate dans le parcours de Veress, par exemple. La grande différence est que Farkas, qui approfondit sa formation à l’étranger, ne devait mesurer la richesse du ferment musical magyar que tardivement, à l’âge de vingt-neuf ans. Rien d’étonnant à ce que sa Sonate accuse trois brefs mouvements dans la succession vif-lent-vif qui n’explorent rien ou à peu près des sujets qui tenaient à cœur Bartók – sans parler d’un Kodály reçu docteur ès ethnomusicologie lorsque ledit Farkas comptait à peine quelques mois ! C’est donc un parcours qu’on pourra dire « objectif » que révèle Miklós Perényi dont la présence s’affirme écrasante dès l’Allegro. Outre d’une approche ferme et d’une sensibilité inspirée, l’exécution bénéficie d’une technique qui, avec l’âge, ne s’est guère affaiblie – on sait la malédiction des violoncellistes vieillissants à ne réaliser plus qu’un aigu souvent piteux : il n’en est rien, Perényi offrant au contraire un registre haut en parfaite santé. Après l’épaisseur du final, la précarisation volontaire, comme susurrée du bout des doigts, choisie pour l’Andante, contraste brutalement. Ce n’est cependant qu’une introduction, pleine de mystère, à laquelle répond bientôt une vibration largement nourrie. Pour finir, une danse vive nimbée d’une clarté facétieuse.
À l’inverse, Sándor Veress fut dès le début initié aux recherches de Kodály et Bartók, puisque tous deux furent ses maîtres. Mais sa Sonate pour violoncelle solo ne date pas de la période hongroise, mais de la seconde partie de sa vie, passée à Berne et aux USA. On retrouve les trois mouvements classiques, mais dans un aphorisme plus webernien, même s’il se s’affirme pas strictement sériel. Perényi donne un air balancé, puis un Larghetto qui lorgne vers les Suites de Bach, enfin un Allegro sconfinato d’une furieuse effervescence que rehausse des pizz’ musclés. Ligeti, à nouveau, avec la Sonate achevée dans lorsqu’est mis en chantier le Quatuor n°1. Elle compte deux séquences, selon l’inspiration folkloriste de Bartók et, avant lui, de Liszt. La succession rapide de caractères brefs trouve un relief passionnant sous l’archet de Miklós Perényi, qui voyage entre la modernité de sa facture et le savoir-faire ancestral qui l’inspira. Pour finir, nous entendons la redoutable Sonate Op.8 avec laquelle Zoltán Kodály inventait, en 1915, une nouvelle façon de jouer l’instrument, pour l’occasion accordé différemment. L’Allegro initial jouit de la ronde épaisseur qui frappait plus tôt dans l’interprétation de l’œuvre de Farkas, une sonorité qui magnifie somptueusement un chant porté haut, d’une présence bouleversante. L’Élégie centrale, notée Adagio, revêt une gravité saisissante. L’ultime danse, Allegro molto vivace, envoie bondir sa virtuosité dans l’invention des timbres, avouant son inspiration populaire à travers de multiples types de jeu qui façonnent des couleurs surprenantes, autant d’imitations d’un instrumentarium alors inédit dans le répertoire classique. D’un public qui lui fait fête, Miklós Perényi prend congé avec le Prélude de la Suite en ut mineur BWV 1011 de Bach, une œuvre qui, comme celle de Kodály, requiert sa scordatura.
BB