Chroniques

par david verdier

Beethoven et Lachenmann
Maurizio Pollini et le Quatuor JACK

Salle Pleyel, Paris
- 18 janvier 2013
Maurizio Pollini joue Beethoven à Pleyel, avec le JACK Quartet dans Lachenmann
© deutsche grammophon

Du sommet de la Große Sonate für das Hammerklavier, deux siècles de littérature pour piano contemplent celui qui aura réussi le pari fou de gravir cette pente périlleuse. On ne saurait en vouloir à Maurizio Pollini d'avoir substitué à une monstrueuse partition qu'il a souvent arpentée avec brio deux sonates de la première période beethovénienne. Les proportions comparées pourront évidemment sembler plus modestes, ce qui ne manquerait pas de provoquer un début de discussion sur l'érosion en cours des moyens pianistiques de Pollini. La discussion se clôt immédiatement du moment où l'on prend la peine de tendre l'oreille pour s'apercevoir que les moyens sont bien là, même s'il faut avouer qu'on a déjà entendu le Milanais plus aérien et meilleur maître de son jeu en d'autres circonstances.

Le projet des Pollini Perspectives faisait étape Salle Pleyel avec, en première partie, le Quatuor à cordes n°3 « Grido » de Lachenmann donné par le jeune et talentueux Quatuor JACK. Sur le papier, cette exubérante partition constituait un épais et brillant miroir à la seconde partie. Le remplacement des opus 101 et 106 par la modeste Sonate en mi bémol majeur Op.7 n°4 et par la Sonate en ut mineur « Pathétique » Op.13 n°8 bouleverse quelque peu l'ordre des émotions annoncées.

Commandé et créé par le Quatuor Arditti, Grido est écrit en l'espace de deux ans et repris dans la foulée par plusieurs ensembles, dont en particulier le quatuor de l'Ensemble Intercontemporain, interprétant l’œuvre à l'occasion du Forum Lachenmann à la Cité de la musique [lire notre chronique du 21 janvier 2006]. La finesse des archets va de pair avec une impressionnante justesse, sans doute des deux versions entendues précédemment, celle qui nous a le plus impressionnée sur ce plan-là. Toute une cosmogonie de timbres miniatures jaillit en l'espace de quelques mesures, d'une profusion irisée et concise. On y respire tantôt l'air raréfié du « bruit » de l'instrument, tantôt l'agrégat matériel de la pression du crin sur la corde. Les modes de jeu dégagent un imaginaire puissant au sein duquel apparaissent soudain les « cris » qui donnent son titre à l'œuvre. Cette élégance suspendue crée une sensation de netteté un brin aseptisée dans des passages où l'urgence vif-argent des notes aspirées alterne avec la moire des sul ponticello et le flux dépressif des staccatos.

Dans l'opus 7, l'horizontalité impeccable des mains de Pollini joue la carte d'une résonance qui ne renie pas le dilettantisme de surface. La réexposition apaise la fièvre nerveuse d'un départ volontairement agité comme pour secouer le trac envahissant. La pédale noie dans un halo continu des nappes dimensionnées – comme souvent chez lui – sur un son à l'architecture impressionnante de cathédrale. Le Largo con gran espressione le trouve à son sommet, au plus profond dans la concentration et la densité du son, sans rien de sentimental. Le fondu du legato et l'élévation continue signe une interprétation qu'on chercherait vainement à imiter. Le Rondo final convoque la multiplicité des voix en une vision très symphonique et toute en économie de toucher.

Très légère déception avec la Pathétique, sans doute plus éteinte de couleurs et de sentiment que l'on aurait bien voulu y entendre. L'enchaînement des mouvements quasi sans affect produit une égalisation du jeu qui refuse les effets faciles mais limite la portée expressive. Avec recul et sans concession, les deux Bagatelles données en bis se soumettent au tactus implacable d'une main gauche impérieuse et souveraine.

DV