Chroniques

par bertrand bolognesi

Beethoven par Paavo Järvi
Deutsche Kammerphilharmonie Bremen

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 28, 29 et 30 mars 2009
statue de Ludwig van Beethoven par János Horvai dans un jardin de Budapest
© dr | beethoven par jános horvai, budapest

Programmer une intégrale des symphonies de Beethoven, pour n'être pas chose rare, n'en demeure pas moins projet à caution. Monnaie courante, puisque la plupart des formations s'y attèlent régulièrement (étalant l'ensemble des symphonies au long d'une saison ou, au contraire, resserrant leur exécution en quelques soirs), une intégrale ne manque jamais de soulever des questions, d'occasionner des choix, voire de faire causer dans les salons, pour ne pas dire « papoter chez le coiffeur »… Saluons l'excellente idée du Théâtre des Champs-Élysées d'inviter la Deutsche Kammerphilharmonie Bremen qui promène en ce moment sa propre vision des symphonies beethoveniennes, vision recueillie et dirigée par Paavo Järvi. « Recueillie » parce que le chef estonien insiste sur le fait que chaque instrumentiste de la formation en est responsable, comme nous le rappelle Christophe Huss dans la brochure de salle : « la coopérative musicale montée par Järvi et l'orchestre allemand dans leur projet Beethoven est patente lorsqu'on assiste aux répétitions. Chacun peut lever la main et suggérer une idée interprétative. Et les musiciens ne s'en privent pas ».

S'appuyant sur la nouvelle édition de Jonathan Del Mar chez Bärenreiter Verlag, mais pas uniquement, Paavo Järvi emmène ses excellents musiciens dans des exécutions qui ouvrent grandes les oreilles vers ce que purent faire de ces symphonies les chefs venus du répertoire baroque, tout en tenant compte non seulement de l'histoire de cette musique mais aussi de l'histoire de l'interprétation. Effectif réduit (ce que pratiquait il y a bien longtemps déjà Pierre Boulez, eh oui !) sur instruments modernes : voilà qui donne le ton.

De ces quatre concerts joués en trois jours, l'on n'émettra de réserves qu'à propos du dernier, lundi soir. Plus précisément à propos d'une Neuvième qui ne répond guère aux promesses faites par celles qui l’ont précédée. Lui manquent une verve plus soutenue, une construction capable de sortir d'elle-même, une aura apte à captiver. Malgré d'indéniables qualités – comme ce rappel, au premier mouvement, de la tempête de la Sixième, par exemple, ou encore la saine faculté à interroger le genre (troisième mouvement) –, elle peut décevoir, notamment par un chaos introductif de l'hymne qui ne jette pas la veste, mais encore par une distribution vocale inégale. Si Matthias Goerne offre un fin velours et des phrasés intéressants aux rares passages a capella, sa voix se perd irrémédiablement dès le quatuor au complet et le soutien de l'orchestre. Michael König ne convainc pas plus, avec des attaques franchement acides et des aigus laborieux (étant entendu que cette partition est inchantable ou à peu près). Soprano et mezzo ne déméritent pas : la fiabilité de Christiane Oelze et d'Annely Peebo servent idéalement l'œuvre.

Peu d'ombre, donc, si la Neuvième, en rien déshonorante, au demeurant, n'apparaît pas couronner le cycle – un cycle ô combien enthousiasmant ! Non content de ciseler le plus élégamment qui soit les pages encore classiques, dans une clarté vive et une ferme tonicité, Paavo Järvi articule discrètement le chant, s'appuie sur la crudité des timbales sans en écorcher pour autant le possible halo, signant une interprétation que caractérisent le nerf des cordes, la couleur des bois, l'éclat des cuivres, l'électricité croissante des contrastes.

Cette intégrale prolonge l'étrange interrogation des premiers pas de la Première : « que devient la symphonie avec Beethoven et après Beethoven » pourrait bien être le sujet du cycle. Si la Deuxième et la Troisième laissent entendre Mozart, c'est Sibelius que paraît annoncer certains aspects de la Cinquième, de même que cette Sixième, tout en faisant sonner sa tempête comme un chaos de Haydn (Die Schöpfung), invite à écouter Mahler, sans oublier une Huitième qui féconde Brahms. La remarque est moins naïve qu'on peut le croire, au-delà de l'évidence à-rebours, bien sûr : c'est bien toute la modernité de cette musique, tout ce qu'elle contient à l'état de germe, que l’interprétation souligne.

BB